La démocratie à l’épreuve du mandat impératif

Au fond de la salle de gauche à droite, Nabie Jalah, Fulvio Caccia, modérateur et Olivier Favier L’Observatoire de la diversité culturelle a tenu le 6 avril 2013 au restaurant le Triton, aux Lilas, un Café-actu intitulé « le modèle de démocratie actuel est-il idéal ? ». Cette activité permet de confronter de manière contradictoire un thème de société. L’actualité récente ne cesse de réinterroger l’exercice de la démocratie dans nos sociétés contemporaines. La démocratie représentative a-t-elle atteint ses limites ? La démocratie participative est-elle absorbée par le système politique local ? Les partis politiques demeurent-ils encore les seules formes d’engagement politique aujourd’hui ? A l’heure d’Internet, existe-t-il enfin une voie médiane -une cyberdémocratie- qui permettrait aux citoyens de redevenir autrement acteurs dans l’espace public, loin d’une démocratie de l’abstention ou des tentations de l’extrême droite ? Telles sont les questions qui ont été abordées par les deux débatteurs, Nabil Jalah, étudiant à l’Institut d’Études Politiques de Paris en Affaires publiques et Olivier Favier, historien de formation et animateur du site dormirajamais.org

Le concept de Démocratie

Idéalement, un système politique de type démocratique postule que les gouvernants sont en parfaite adéquation avec le peuple qui reconnaît sans subir de contrainte la légitimité du pouvoir en place. En pratique, comment réaliser cet idéal ? s’est demandé Nabile Jalah qui défendait le modèle démocratique en place, représentatif. Pour lui, le postulat fondamental de ce principe est que les représentants, détenteurs d’une partie de pouvoir de gouvernement, sont élus par le peuple selon la règle « un votant une voix ». Ils sont une image conforme de ce que ce peuple est et veut.
La démocratie représentative s’oppose à un autre modèle, la démocratie participative qui croit pouvoir atteindre l’idéal démocratique plus directement. Telle est la thèse défendue par Olivier Favier, en constatant les limites de la démocratie représentative.

Démocratie représentative et intérêt général

Une démocratie représentative, selon Nabile Jalah, est seule en mesure de garantir la stabilité de l’esprit démocratique, d’empêcher une dérive du pouvoir vers la tyrannie. La représentation fonde notre système politique et rend le fonctionnement de la démocratie car elle estime la voix unifiée d’un peuple divers. La France jacobine est composée d’un seul peuple, mais de quel peuple s’agit-il ? Où sont passés nos singularités ? La représentation permet le passage d’une somme d’individualités à une volonté unique, celle de l’intérêt général.

L’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers : c’est un intérêt supérieur qui convient à l’ensemble du peuple. En somme, la représentativité permettrait d’exercer de manière légitime le pouvoir politique, en se fondant dans son exercice sur l’intérêt général. En 1789, la Révolution n’a pas mis en avant le peuple, mais la Nation dont le peuple n’en est en droit qu’une des trois composantes classiques, avec le territoire et le gouvernement. L’idée d’égalité de tous devant la Nation, qui existe pour remplir l’intérêt supérieur, émerge alors. L’égalité de tous les citoyens s’exerce par le vote : « un homme, une voix ». Les représentants sont élus par l’ensemble des votants, tous égaux.

Actuellement notre modèle connaît une crise de la représentation. Elle se manifeste par une absention de plus en plus importante, notamment lors des élections de portée locale, par l’éloignement du peuple des élites politiques censées le représenter. Cette crise n’est pas due à notre système représentatif en soit, mais à des éléments extérieurs d’ordre conjoncturel : crise économique, faillite du système de l’éducation nationale républicaine. S’il est possible de trouver pléthores de raisons à cette crise, c’est moins le crise du système que l’accès libre et transparent à ce système politique qui en cause. Car, avant toute chose, tout système humain est par définition un système particulier qui demande du temps pour le connaître. S’investir en politique reste un choix personnel, auquel tout le monde a accès, mais un choix qui demande du courage et d’accepter les règles. Ayons confiance en la justice, notre troisième pouvoir indépendant : elle est là pour veiller aux abus.

Donner la parole au peuple pour gouverner engendrait des dérives. En 1981, le président François Mitterrand affirme vouloir interdire la peine de mort en France. Le Parlement suit et une la peine de mort est aboli sur le territoire nationale. Cependant, si François Mitterrand avait choisi de passer par la voie du référendum, il est probable qu’une majorité de français aurait voté contre. Avoir choisi la voie des représentants du peuple a autorisé une grande avancée dans notre système judiciaire.

En conclusion, Nabil Jalah nous rapporte, que même si le système représentatif actuel connaît des limites, ce n’est pas un modèle à rejeter aussi facilement. Il faut constamment chercher à l’améliorer et à le rendre plus dynamique. Nabil Jalah ajoute aussi que si nous sommes actuellement en train de débattre sur l’idéal démocratique, c’est que le système en place nous le permet. Le principe même d’un idéal, c’est de rechercher à l’améliorer et a en discuter.

Une alternative possible au modèle représentatif ?

L’alternative au modèle démocratique actuel est-il possible s’interroge d’entrée de jeu Olivier Favier . Si elle existe, cette alternative est-elle absolue et faut-il tout changer ? Ou bien, le système actuel fonctionne-t-il globalement bien, tout en se devant de l’ajuster à la marge pour en garder l’essence fondamentale ? Selon l’orateur, la crise actuelle couplée aux événements polico-judiciaires tendent directement à accuser le système en place. Dans cette vision, c’est Vème République qui serait sclérosée et une réponse facile serait l’appel à l’instauration d’une VIème République. Mais le problème est-il vraiment la Vème République ? Les Italiens ont un système politique qui ressemble à notre ancienne IVème République, beaucoup plus parlementaire, mais on ne peut pas dire que la situation soit brillante. Alors où trouver les causes?

Olivier Favier pointe le système électoral. Notre démocratie élective est caractérisée par le système de mandats représentatifs. Que signifient-ils? Quel que soit le mode de scrutin, local ou national, un élu représente l’ensemble des électeurs et des non-électeurs de la circonscription où il a été élu. Par extension, l’ensemble des élus représentent la Nation. Ces mandats sont généraux, libres et non révocables. C’est à dire que les personnes élues défendent un programme général, instillé dans le cadre de leur parti. Le mandat libre implique que les élus ne sont pas les obligés de leurs électeurs : une fois élus, les électeurs n’ont plus de contrôle sur leurs mandataires. En outre ils ne sont pas révocables durant leur mandat : les électeurs n’ont pas le pouvoir de révoquer ceux qu’ils ont élus. Le mandat libre et non-révocable entraîne des conséquences sur la fin de mandat. Ils seront jugés sur le bilan qu’ils vont faire eux-mêmes sans être tenus de rendre des comptes à leurs électeurs. Quand ils présentent leur bilan à leur manière, le travail critique est réalisé par l’opposition et les médias, ce qui sous entend que le bilan sera jugé sous des critères idéologiques : la gauche est au pouvoir, la droite va critiquer systématiquement ce qui a été fait, même si certains élus peuvent se montrer d’accord avec certaines politiques.

Le mandat impératif

Cependant, il existe un autre type de mandat nous rapporte Olivier Favier, le mandat impératif. Ce mandat est interdit par la Constitution de la Vème République (article 27). Qu’apporte ce type de mandat, utilisé à différentes périodes de l’histoire ? Il répond aux besoins spécifiques d’un groupe qui choisi une personne pour réaliser une mission précise, dans une période de temps défini. De cette manière sont élus non pas des dirigeants, mais des gouvernants. Dans l’antique démocratie athénienne, les gouvernants étaient choisis de manière aléatoire parmi des volontaires, suivi d’un examen de compétences. Contrairement aux dirigeants, les gouvernants répondent à ceux qui les ont choisis et ont un droit de révocation et ne sont pas autorisés à changer d’avis en leurs noms propres. Olivier Favier nous rappelle d’ailleurs, que pour Aristote, les mandats électifs caractérisaient les oligarchies, tandis que l’aléatoire formait l’essence de la démocratie. Les philosophes des Lumières ont repris cette idée clef, tout en mettant en évidence que ce cette manière, chacun dispose d’une espérance raisonnable de servir sa patrie.

Cette direction qu’illustrait naguère un cincinnatus qui délaisse sa charrue pour faire la guerre et y retourne une fois sa tâche accomplie semble une féconde pour dépasser les oligarchies que notre propre système de gouvernement a générées. C’est le sens de nombres d’interrogations actuelles qui foisonnent sur la toile. Le mode de gouvernement est bien l’enjeu du changement au sein de nos sociétés.

Voir également à cet égard :

http://dormirajamais.org/

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