Regards sur l’intolérance dans l’Europe d’aujourd’hui Tolérance, pluralisme et cohésion sociale : répondre aux défis du XXIe siècle en Europe.

Le 24 et 25 mars 2013 a lieu à la Maison des Passages à Lyon une conférence européenne organisée par Banlieues d’Europe. Lors de ce colloque, les travaux et thèmes de recherche du programme de la Commission européenne Accept Pluralism ont été présentés. Une quinzaine d’universitaires européens, parmi lesquels Anna Triandafyllidou de l’Institut Universitaire Européen de Florence, d’Angéline Escafé-Dublet du CERI-Sciences Po, Marko Hajdinjak de l’IMIR1 de Sofia sont venus présenter les résultats de leur recherche sur les déclinaison de la notion de tolérance au sein des sociétés civiles européennes. L’Observatoire de la Diversité Culturelle a participé aux travaux de cette rencontre où étaient également présents de nombreuses associations lyonnaises. La présentation de ces travaux coïncidait avec un sondage publié par le quotidien Le Monde qui estime que 74% des Français jugent l’Islam pratiqué par 10% de la population, intolérant et incompatible avec les valeurs de la République. De façon plus générale, la France, malgré ses particularismes, ne fait face qu’à une situation qui se répète de manière semblable vis à vis des minorités ethniques ou religieuses dans les autres pays membres de l’Union européenne, bien que les formes prises par cette situation n’ait pas de modèle unique.

Ces douze dernières années, les nations européennes se sont montrées sceptiques quant à leur capacité à accepter et à s’adapter à la réalité des différentes minorités ethniques et religieuses. Le projet de recherche Accept Pluralism met en avant le rôle essentiel des autorités nationales et locales, entre politiques publiques favorables aux immigrants et politiques contraignantes fondées sur un renouveau des partis nationalistes. Ce décalage est d’ailleurs un des éléments qui ressort de ces enquêtes conduites dans une quinzaine de pays.

C’est ainsi que les Pays-Bas, terre autrefois à la tolérance proverbiale, ont maintenant adopté une politique migratoire plus restrictive. Cependant, des responsables politiques locaux ont su contourner les directives nationales, en offrant des facilités et un accompagnement aux demandeurs d’asiles et aux immigrants illégaux. Mais les acteurs locaux n’ont pas qu’un rôle à jouer au niveau des problèmes politiques directement liés à l’immigration. Car si la politique migratoire est le reflet des crispations des peuples dans certains pays et sources de difficultés, celles-ci peuvent aussi venir des revendications des minorités nationales déjà établies, qui affirment leur appartenance à la Nation tout en se distinguant du groupe majoritaire, qui n’est lui même homogène que dans son hétérogénéité. C’est le cas notamment des bretons ou des Corses qui revendiquent une identité régionale où le peuple est pluriel. Dans le cas de la France et du rapport avec l’état-nation de ses citoyens s’affirmant comme étant de confession musulmane, «se mobiliser pour la laïcité est un moyen pour beaucoup de militants de négocier une identité musulmane qui fasse partie intégrante de l’identité nationale ».2

Dès lors, quelles réponses apporter aux difficultés rencontrées face à l’intolérance ? Comment encourager les franges marginalisées de la société à participer à la vie citoyenne, alors que les minorités sont perçues par les états-nations comme une menace pour leur sécurité nationale et culturelle et que les impulsions politiques sont souvent initiées par les organisations internationales (adoption en 1992 par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques). L’institutionnalisation dans le droit international des questions relatives aux minorités montre une prise de conscience des politiques à propos des enjeux posés par ces questions.

La diversité culturelle doit être d’une part source de cohésion sociale, et d’autre part ouverture à l’esprit citoyen dans le respect des valeurs fondamentales énoncées dans la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le projet de recherche distingue deux types de tolérance : la tolérance libérale (chacun peut adopter le mode de vie qui lui convient sans interférer dans le mode de vie d’autrui) et la tolérance égalitaire. Ces deux catégories recoupent précisément les catégories « différentialistes » et «universalistes » mis en lumière par Emmanuel Todd.

La tolérance égalitaire se base sur des directives institutionnelles et sur la conduite de politiques publiques combattant les préjugés et stéréotypes négatifs. Pour les états, les concepts clés pour instaurer une politique efficace de véritable reconnaissance citoyenne des minorités (religieuses ou ethniques) sont de quatre ordres :

  • Interpréter les revendications des minorités comme une quête de justice et d’égalité, et non comme une menace pour la sécurité nationale.

  • Renforcer l’éducation, qui est le clé de la cohérence sociale dans sa diversité. En effet, garantir des droits politiques ne garantit pas leur traitement égale par l’état ou la société.

  • Si une minorité est répartie sur plusieurs états, se garder d’utiliser cette minorité dans le but de perturber les voisins.

  • Avoir à l’esprit que les politiques des organisations internationales (ie. Union Européenne) ont un impact conséquent sur les minorités.

La conférence s’est conclue par trois ateliers. Le premier portait sur la diversité culturelle dans les programmes scolaires en confrontant l’expérience française et britannique, le deuxième portait sur les Roms et le troisième mettait en lumière des exemples de politiques publiques locales et nationales dans les nouveaux pays d’immigration. À savoir l’Italie, l’Irlande et la Catalogne.

La question des minorités ne doit pas se voir comme un obstacle à la construction d’une société cohérente. Au contraire, la richesse de la société se trouve dans sa diversité religieuse, culturelle, linguistique. Aller au delà de ces clivages nécessite des réponses politiques fortes au niveau des autorités nationales tout comme au niveau des responsables locaux, éventuellement impulsées par des directives transnationales.

1International Centre for Minority Studies and Intercultural Relations, Sofia

2Se mobiliser pour la laïcité, Angéline Escafré-Dublet. Publié sur le HuffingtonPost.fr, 13-11-2012.
http://www.huffingtonpost.fr/angeline-escafredublet/laicite-islam-france_b_2117123.html. Page visitée le 19-03-2013.

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