Saint-Sébastien : des femmes courageuses

« Eva Evitano duerme » (Eva ne dort pas), du réalisateur argentin Pablo Agüero, œuvre physique, profonde et politique, raconte les blessures de l’histoire moderne de l’Argentine à travers Eva Peron, une icône légendaire, de chair et de sang presque christique. « La valeur iconographique d’Evita, a expliqué son réalisateur, n’a de comparable que celle de Che Guevara,(argentin lui aussi). Dans les deux cas, leur image a été instrumentalisée et sanctifiée ». 

Débutant par un monologue de l’acteur mexicain Gael Garcia Bernal, le film est structuré comme une pièce de théâtre en trois actes, où chaque partie est liée par des images d’archives, illustrant les moments tragiques de la vie politique argentine des années 50, soit du départ de Peron, veuf d’Evita et chassé du pays par le sanglant coup d’État de 1955, jusqu’au retour de Peron avec sa seconde femme, « Isabelita » au debout des années 70.

La voix fragile et perçante d’Evita accompagne ces images et fait le lien entre les scènes théâtrales centrés sur ces trois personnages : « le taxidermiste » interprété par l’espagnol Imanol Arias, le « transporteur » interprété par le français Denis Lavant et le « dictateur » interprété par l’argentin Daniel Fanego.

Le premier est chargé d’embaumer le cadavre d’Evita, pour tisser un lien physique et tangible entre le péronisme et la nation argentine ; le second, un barbouze français au service des militaires putschistes, est chargé de séquestrer la momie d’Evita au lendemain du coup, afin de faire disparaître le symbole physique d’un régime populaire et nationaliste ; et le troisième interprète le général Aramburu, chef du « golpe », séquestré lui-même par les Montoneros, formation militante de la gauche radicale péroniste qui lui propose un échange bien symbolique : la vie sauve et en contrepartie « rendre au peuple le corps embaumé d’Evita ».

La profonde originalité de ce film si magistralement interprété, tient à la multiplicité des lectures qu’il propose. « Eva no duerme » suggère d’abord, que le néolibéralisme s’est imposé par le feu et le sang dans ce pays protectionniste et nationaliste, orpheline d’Eva Peron ; ensuite que les techniques de répression de la dictature génocidaire argentine d’après 1976, sont d’importation française -courtoisie des vétérans d’Indochine et d’Algérie, recyclés en instructeurs- ; et enfin que l’instrumentalisation de l’image en présentant « Isabelita » comme l’image du relais politique d’ « Evita » a permis à l’oligarchie argentine de préparer le terrain pour le coup d’État de 1976 . Le dialogue entre Aramburu, le dictateur et la « montonera » qui le tient séquestré, l’illustre éloquemment  : « vous n’imaginez même pas ce qui va vous tomber dessus, vous allez disparaître » lui dit-il, « où avez vous pris ces idées » dit la guerrillera, « ce ne sont pas des idées, se sont des techniques » sentence le dictateur.

Cette Evita « insomniaque » nous réveille en soubresaut. Merci, ou mieux dit : « Ave Eva, gratia plena… » Salut Evita, Madonne du peuple. Barash »

« Barash »

De l’Argentine à la Palestine il n’y a que la rime qui fait le lien. Ceci dit, « Barash », film israélien tourné en hébreu de la réalisatrice Michal Vinik est aussi une histoire centrée sur une femme. Il s’agit de la découverte de l’amour lesbien de la part de Naama Barash, une adolescente « en révolte contre une famille et une société qui exclut tout ce qui est différent » comme l’a expliqué Vinik, « un portrait d’une jeunesse qui se sent détachée d’une famille détachée dans un pays détaché ».

« Barash » interprétée par Sivan Noam Shimon, pourrait sembler une histoire normale, voire banale, d’ados, où le passage saphique à l’age adulte se fait entre alcool et drogue, comme souvent et partout, pourrait-on dire.

Mais, la pépite d’or cachée dans l’ombre du lit de la rivière du film et qui rend « Barash » une œuvre d’un profond espoir, c’est l’histoire parallèle dont est protagoniste la sœur aînée de Naama Barash. Effectivement, la sœur aînée, en train de faire son service militaire manque à l’appel. En fait elle a déserté par amour. Jusqu’à là rien de véritablement original; sauf que « l’âme jumelle » pour qui la sœur aîné terminera en prison militaire est un jeune homme… palestinien.

Tout est dit. Amen.

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