«Retour à Ithaque » de Laurent Cantet triomphe au 23e Festival du cinéma latino-américain de Biarritz

Le grand gagnant de l’«abrazo» -l’accolade entre les deux rives de l‘Atlantique- de la 23e  édition de cet incontournable rendez-vous transculturel qu’est le Festival du cinéma latino-américain de Biarritz est le film « Retour à Ithaque » du réalisateur Laurent Cantet. Le temps d’une nuit sur une terrasse qui domine la Baie de la Havane, une « cuadrilla », un groupe d’amis se réunit pour célébrer le retour de l’un des leurs après seize années d’exil en Espagne. Les acteurs cubains sont parfaits, chacun dans son rôle, les histoires personnelles sont profondes, sincères et superbement racontées : un bon film intimiste français en somme dont la transplantation aux Caraïbes  en langue espagnole et  avec accent musical cubain,  a bien réussi.  Bref un métissage parfait qui  fait écho la transcultation  qui  fonde  la « Cubanitad » telle que le forgeait naguère Fernando Ortiz, le  second découvreur  de Cuba.
Comme c’est prévisible, ces confessions de ces exilés quinquas aboutissent à une critique en règle du système socialiste  et de ses dirigeants avec ses mensonges et son opportunisme. Des critiques légitimes certes, mais  qui nous laissent sur notre faim et surtout ceux qui, comme votre serviteur,  ont une certaine connaissance de la question sociale latino-américaine.  Pourquoi donc ce  groupe d’amis  fait-il l’impasse sur le fait que cet Etat bien qu’imparfait, demeure 50 ans plus tard  une référence pour tous ceux qui en Amérique latine se battent pour la justice. L’éventail est large : du  Brésil de  Lula et de Dilma  au Vénézuela  en passant par le Pérou… Dit autrement et puisque le titre de ce film nous rappelle Ithaque, donc nos classiques grecs, filon la métaphore avec un autre classique : le talon d’Achille. Le point faible de ce film réside sans doute dans la subtile acculturation occidentale dont ses exilés sont, malgré eux, porteurs.

Heureusement le film a su capter l’humanité de gens de la rue non encore  contaminés par la société de consommation et ses  calculs mais cette candeur pourrait sembler complaisante dans un film où l’on peut se demander si nos classes dirigeantes n’auraient  pas été moins traîtres et moins opportunistes que leurs homologues cubains ?    
 Ce festival  a cette vertu : nous permettre de revisiter la diversité culturelle à travers la confrontation entre Est et Ouest, Ancien et  Nouveau monde. Ainsi on redécouvre l’acception pleine et entière, transculturelle  de la diversité,  désincarcérée  de  son réduit ethnoculturel  auquel on veut le réduire. L’intellectuel américano-palestinien Edward Said pourfendait à bon escient  le nombrilisme culturel « orientaliste » des Occidentaux lorsqu’ils  réfléchissaient  sur le monde arabo-musulman.  Dans un espace comme  celui de combats-magazine, on epeut dire qu’il existe aussi un « occidentalisme » à l’égard de l’Amérique latine, symétrique  à celui  qu’avait dénoncé  naguère Said vis-à-vis l’Orient.
 Dans ce sens, l’«abrazo ou l’accolade », le prix le plus prestigieux du Festival de Biarritz  a récompensé  le pays d’accueil – la France-   dans une  accolade sui generis qui distingue un    « occidentalisme »  bien européen.

Passons maintenant de l’île à la terre ferme. Le mexicain « Las Busquedas », ou les recherches, a  remporté  le prix du jury du meilleur long-métrage. Une femme n’arrive pas à comprendre le suicide de son mari, un homme veut tuer la personne qui lui a volé le portefeuille où était la seule photo de sa femme et de sa fille assassinées, le destin les unit. Un film en noir et blanc, tourné en sept jours par cinq copains avec un budget de 1500 dollars, ces « Recherches » mexicaines. Chapeau à ce  Festival  qui a su trouver cette pépite justement récompensé  par le jury.
Le prix du public, c’est à dire le film qui a été élu par les spectateurs de cette 23e  édition du Festival de Biarritz a été descerné à l’argentin « Relatos Salvajes » ou les Nouveaux Sauvages réalisé par Damián Szifron.

Disons d’abord de  ce film produit par les frères Almodovar (Augustín et le célèbre Pedro) que Erica Rivas, l’une des actrices,  a obtenu le Prix de la meilleure interprétation féminine, même si nous lui avions préféré Julieta Diaz, magistrale dans son rôle de mère battue, fuyant avec son enfant un mari violent dans un autre film argentin, « Refugiado » ou Refugiée
Dans  « Relatos Salvajes », ce film qui a conquis le public biarrot, six histoires s’entrecroisent  avec comme fil  conducteur  l’humiliation au quotidien et comme motif l’humour et la colère. On voit ainsi un distribution d’exception (Ricardo Darín, Leonardo Sbaraglia, Erica Rivas et Rita Cortese pour ne mentionner que les plus connus) se confronter avec la violence du quotidien (amendes injustes, insultes gratuites, arrogance sans excuses) avec laquelle tout citoyen peut facilement s’identifier.
Et voilà que les victimes d’une administration  trop pointilleuse, qui évoluent dans une atmosphère incivique et corrompue, réagissent en « pétant les plombs ». Mais le plus intéressant dans Relatos Salvajes, c’est que cette réaction fonctionne comme  une  catharsis libératrice ne transformant jamais les personnages en justiciers ou en sociopathes. En paraphrasant les mots d’Augustin Almodovar  Relatos Salvajes met en scène  un péan  en  colère ouverte mis ne perdant jamais son  « self-control » qui marque la règle des relations interpersonnelles dans la culture dominante de notre époque.

Avec un brin de malice on serait tentés de demander aux distributeurs français pourquoi Relatos Salvajes, le titre du film a été traduit par Les Nouveaux Sauvages et non pas comme c’était logique par Les Récits Sauvages.  Alors pourquoi donc changer de sujet ? Pourquoi associer l’idée de sauvagerie à des personnes, alors que la tension est dans les histoires dont les protagonistes sont les victimes ? Pour empêcher qu’on identifie dans l’expression de la colère une juste libération, peut être ? Heureusement que le public, lui qui ayant choisi de primer ces récits sauvages n’est pas dupe.

Le Prix de la meilleure interprétation masculine est allé ex-æquo à Hector Noguera et Nestor Guzzini, les deux formidables protagonistes de Mr Kaplan, film uruguayen d’Alvaro Brechner.  L’histoire d’un vieillard juif rescapé  de la Shoah, intrigué par la présence d’un allemand de son âge sur la plage qu’il soupçonne être un criminel de guerre nazi. Et voilà que notre Monsieur Kaplan (Noguera), recrute un ancien policier raté (Guzzini) pour reproduire la fameuse capture d’Eichmann.
Mr Kaplan n’es pas seulement un très beau film où se mélangent des éléments de comédie, de thriller et aussi de… Western spaghetti. Avec sympathie, ironie et humanité, l’œuvre de Brechner nous rappelle que les obsessions peuvent amener à se tromper d’ennemi. Peut être involontairement Mr Kaplan met le doigt dans la plaie d’un controversé, douloureux et délicat problème : les effets pervers d’une obsession, née du traumatisme de l’holocauste des juifs d’Europe.
L’  « abrazo », l’accolade du meilleur documentaire est allée à Café, un regard intime sur une communauté indigène au Mexique aujourd’hui. Dressant le portrait d’une famille dans les montagnes de l’État mexicain de Puebla, les valeurs anciennes et les défis  modernes  sont mis à l’épreuve pour  la recherche d’un équilibre nouveau .  La caméra de Hatuey Viveros Lavielle  est attentive à cet équilibre . Signalons pour terminer qu’une mention spéciale du jury documentaire a été donné à Poder e Impotencia de l’italo-paraguayenne Anna Recalde Miranda. L’œuvre témoigne de l’aventure politique de Fernando Lugo, évêque  de la Théologie de la Libération au Paraguay et à sa conquête du pouvoir politique par les urnes et la perte du pouvoir par un coup d’État. Ce Pouvoir reflet de l’impuissance n’est pas seulement un regard sur l’histoire récente du Paraguay, mais révèle aussi la réalité et les limites du pouvoir politique dans les systèmes « démocratiques ».

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