Psychanalyse et liberté

Giancarlo Calciolari

Entre inconscient et pulsion grégaire

Le débat sur la psychanalyse en France est-il porté par le pulsionnel de l’inconscient et la liberté de parole ou est-il l’expression de la pulsion grégaire, laquelle de l’avis même de Freud n’existe pas ?On est en droit de le penser lorsqu’on lit l’intervention récente d’André Green dans les pages du Monde des livres. Le président de la Société psychanalytique de Paris s’en prend au mythe unitaire de la psychanalyse française que les médias colporteraient, sous l’influence d’une camarilla proche des cercles de Jacques-Alain Miller. La réalité est tout autre. A côte les fidèles de la doxa lacanienne réunis autour de son gendre, se trouvent des groupes lacaniens indépendants et ceux du giron familial freudien orthodoxe qui a ses bastions internationaux.

Si les termes sont ceux que nous venons de reprendre chez André Green, alors la psychanalyse en France serait en proie au narcissisme des petites différences, c’est-à-dire qu’elle se résumerait en un bestiaire fantasmatique anti-freudien.

André Green réduit la psychanalyse à la psychothérapie, qui serait “le traitement qui nécessite des soins qualifiés, dispensés par ceux dont il est indispensable de s’assurer qu’ils ont bien été formés à cette pratique”.

Freud a inventé la psychanalyse en 1896 et non la psychothérapie, qui est née en 1888 et qui a révélé son projet normatif avec le Troisième Reich. La liberté spécifique de cette recherche est celle du sujet à l’égard de la mort, et ce n’est pas un hasard si le travail en psychanalyse – selon André Green – soit celui du négatif. Par conséquent, comparé à l’idéal d’une psychanalyse créée à image et ressemblance du personnage social appelé “psychanalyste”, chaque psychanalyste dans le monde entier ressemble au survivant d’un naufrage général.

Freud ouvre une brèche originaire au moment où le discours recouvrait la parole en disant des choses nouvelles avec des mots anciens. Lacan pratique une autre brèche en disant des choses nouvelles avec des mots nouveaux. Le travail intellectuel qui reste à accomplir est immense. C’est pourquoi ces luttes intestines demeurent sans intérêt.

Certes, il n’est pas inutile de s’interroger sur la formation culturelle et technique des psychiatres, des psychanalystes, des psychologues, des psychotérapeutes… Mais si la question se résume à l’adaptation, à la soumission à la normalité sociale, le résultat conduira nécessairement au statut quo. Chacun à sa place et les sujets seront bien gardés !

Entre le conformisme de l’un et l’anticonformisme de l’autre, il est crucial de garder la brèche ouverte. Je suis de ceux qui croient à la recherche de la parole originaire. Je tiens à cette liberté qu’aucun groupe ne peut confisquer.

Ni avec André Green ni avec Jacques-Alain Miller. (Et pourtant je lis aussi leurs livres !)

Si André Green trouve sa légitimité dans le vénérable cercle freudien et Jacques-Alain Miller dans le nouveau cercle fondé sur la logique du signifiant, grand bien leur fasse. Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont piégés par la même circularité orthodoxe et le conformisme de la rébellion. Comme toujours dans cet affrontement duel le tiers exclu, la nouveauté en psychanalyse,en fait les frais.

L’heure n’est pas de s’informer pour voir plus clair, comme affirme André Green mais de lire avec une liberté inhabituelle, bien que nous soyons loin d’avoir un quiconque statut social, et pour cause, de vérité.

Comme Alexandre Grothendieck, Réjean Ducharme, Leopoldo Maria Panero, Dino Campana et quelque autres fous de liberté, qui, sans espoir d’égalité et de fraternité n’ont pas revendiqué une quelconque « généalogie sociale », l’autre nom de la psychotisation mondiale. Heureusement, il y a la renaissance.

 

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