La Poste ou comment faire autrement

France-Inter, 7 novembre. Les infos de sept heures terminées, l’animateur annonce la rubrique à venir, puis jingle et pub : un homme d’affaires vante à un collègue la rapidité avec laquelle La Poste achemine le courrier, à condition de choisir le tarif « rapide ». « Ah bon ?! » fait l’autre. Une voix féminine suave : « 54 centimes, c’est le prix de la lettre prioritaire !! Pourquoi s’en priver ? [Re-jingle] La Pooooste …. ! » conclut la voix d’aéroport, en extase.

On l’aime bien, la poste (sans majuscules), mais on tique un peu. Ce n’est pas que, comme tous les secteurs d’activité, elle a adopté deux vitesses de fonctionnement (encore que…). C’est que, pour ce faire, elle aussi prostitue les mots, et dénature ce qu’ils qualifient. La lettre de 20g, naguère normale et à vitesse d’acheminement unique, est devenue « non prioritaire. » Et toc ! (Elle est aussi devenue très, très lente : entre trois et six jours, voire plus : 0,49€) L’autre, c’est le « courrier rapide » ou prioritaire (ah bon ?!) : de Paris à Paris, et si tout va bien, vous avez votre lettre le lendemain : 0,54€. (Le courrier international est lui aussi soit « prioritaire » et « bénéficie d’un acheminement direct et rapide par les moyens les plus fiables » , soit « économique », et on n’ose pas songer aux péripéties qui l’attendent…)

Or prioritaire ne veut pas dire rapide. Est prioritaire « ce qui vient en premier par ordre d’importance, d’urgence. » (Petit Robert) Tout est là : dans « l’urgence » ! Pourtant, une lettre normale – aujourd’hui « rapide » – n’est pas toujours urgente. Et si on l’achemine par avion, ce n’est pas qu’il peut y avoir mort d’homme mais tout simplement que l’avion est plus rapide que le train, le bateau ou la marche à pied pour traverser des pays ou des océans.

Faire de « rapide » un synonyme d’ « urgent » quand il n’y a pas urgence, c’est non seulement faire violence aux mots en leur faisant dire ce qu’on veut, mais aussi à nous, parce que, désormais, en quelque sorte « terrorisés » par les mots, nous obtempérons sans regimber : ce qui n’est pas urgent est négligeable, donc lent (« snail mail » disent les Anglo-saxons. Le courrier rampant…) Donc, mieux vaut payer. CQFD. La question n’est pas de savoir « pourquoi s’en priver » mais comment faire autrement.

 Christine Godbille

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