Entretien avec Babacar Diouf, secrétaire général de l’Observatoire de la Diversité Culturelle au Sénégal

La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles fêtera ses dix ans l’année prochaine. Mais qui la connaît ? Qui connaît ses acteurs ? C’est pour remédier à cette absence d’information que l’Observatoire de la Diversité Culturelle a entrepris une enquête à ce propos. En préambule, nous vous livrons un entretien déjà réalisé par le journal Le Témoin sur le récent observatoire créé au Sénégal par Babacar Diouf. 

Babacar DIOUFMilitant convaincu de la culture, Babacar Diouf est aussi un acteur de la vie culturelle à travers l’Ong Ndef – Leng. Avec quelques acteurs de la vie culturelle dont l’ancien gouverneur de Dakar, M. Saliou Sambou , ils ont mis en place un Observatoire de la diversité culturelle. Le Témoin s’est entretenu avec Babacar Diouf à propos de cet observatoire.

Témoin :Vous êtes le secrétaire exécutif de l’ONG Ndef-Leng, secrétaire général de l’Observatoire de la Diversité Culturelle (ODIC) et vous êtes connu comme un grand militant de la culture. Comment analysez -vous la politique culturelle de l’Etat du Sénégal ?

Babacar Diouf : Depuis plus d’un an, nous avons travaillé sur le projet d’observatoire de la diversité culturelle. A cette occasion, nous avons produit un « document de présentation de l’observatoire de la diversité culturelle » qui est mon seul document de référence dans le cadre des réponses que j’apporterai à cette interview.
Cette précaution prise, je voudrais dire que le Sénégal est un pays de diversité culturelle : terroirs, ethnies, histoires locales, religions africaines et étrangères, confréries, langues, arts et expressions culturelles etc. Il s’efforce de parfaire son unité nationale. Depuis le début de l’indépendance, la politique culturelle est bâtie sur deux axes : l’enracinement dans les valeurs du patrimoine et l’ouverture sur le monde extérieur et le futur. Elle se décline ensuite en lignes de force sur lesquelles se structurent et se développent les programmes, les initiatives et les réalisations selon le triptyque suivant: la culture comme fondement et ciment de la construction nationale ; la culture comme base, ferment et levier du développement et, enfin, la culture comme source de rayonnement donc composante majeure de la diplomatie et de la coopération internationale.

Le ministre de la Culture a initié une tournée pour la diversité culturelle. Quels sont, selon vous, les enjeux d’une telle tournée ?

La création et la contribution libre et appréciée, le partage et la jouissance de valeurs culturelles diversifiées procurent à tous les citoyens le confort de ceux qui se sentent intégrés harmonieusement dans la Nation. C’est la condition pour que tous et chacun se sentent bien à la fois dans leur tête et dans la communauté nationale.

C’est pourquoi le ministère de la Culture s’est fixé comme objectif prioritaire de promouvoir la diversité culturelle en s’appuyant sur un programme national de promotion et de stimulation de la créativité. Il vise, à travers cette tournée pour la diversité culturelle, « dans chaque département, dix produits culturels représentatifs qui seront documentés et promus sur différents supports de communication avec l’organisation d’une semaine destinée à la mise en valeur desdits produits ».

Ce programme suffit-il à promouvoir la diversité culturelle ?

Il n’existe nulle part sur le continent, d’institution ou d’organisme d’envergure pour analyser et prendre en charge ces défis qui menacent ou touchent pratiquement tous les pays africains. Probablement parce que l’appareillage institutionnel des pays occidentaux importé en Afrique ne comporte pas, et pour cause, des dispositifs pouvant prendre en charge ces catégories socio-politiques africaines.

Cela s’explique-t-il par des manquements que vous avez eu à constater ?

Seule probablement l’Afrique du Sud s’y essaie et pour cause. Les définitions et délimitations opérationnelles étriquées de la culture copiées sur celles des pays européens et les ministères chargés des seules « Affaires culturelles » résiduelles confinées en Afrique aux arts et loisirs n’y sont pas adaptés. C’est pourquoi ces ministères reçoivent la portion congrue des budgets nationaux, l’essentiel de la culture étant pris en charge de manière informelle par de multiples instances.

On a pu dire à cet égard que l’Afrique n’est pas sous-développée mais sous analysée. La diversité culturelle est un concept où s’entrecroisent la culture, l’économie, la politique et le droit. C‘est le sens du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1976).

C’est dans ce contexte national, africain et mondial qu’il est proposé la création d’un observatoire de la diversité culturelle, une sorte de « météo de la socio-culture sénégalaise ».

Pensez-vous cependant que la politique sur la diversité culturelle soit réelle au Sénégal ?

Il y a des acquis de la politique et des pratiques culturelles à préserver et développer. L’exemple qu’on peut citer c’est une certaine harmonie inter communautaire et une paix durable sur plus de 50 ans. Il y a aussi des figures marquantes, des initiatives majeures, des réalisations d’envergure et une créativité foisonnante qui ont fait de Dakar, une place forte de la culture en Afrique et dans le monde. Un rayonnement international sans rapport avec la taille, la démographie ou l’économie du Sénégal. Cependant, il y a malheureusement des échecs parmi lesquels nous pouvons citer une administration inadaptée dans ses attributions, une centralisation encore excessive, une perception de mépris culturels, et une frustration « des périphéries ».

Votre observatoire va-t-il faire la police de la culture ou, au contraire, vous présenterez-vous en laboratoire d’idées pour le gouvernement ?

La longue énumération des objectifs, des domaines de compétence et des destinataires traduisent le souci de ne laisser dans l’ombre aucun aspect de la problématique. Mais il est évident qu’il est impossible de tout embrasser. Pour faire un travail utile, il sera donc indispensable d’élaborer une stratégie basée essentiellement sur la définition de cibles, priorités et sur-priorités en l’occurrence : paix, unité nationale, respect de la diversité des identités, d’une part, et économie de la culture d’autre part.

Pouvez- vous décliner vos objectifs ?

Notre objectif général est d’informer, sensibiliser et mobiliser tous les milieux concernés et l’ensemble de la population pour que, grâce à son vaste éventail de ressources, la culture serve à atteindre une variété d’objectifs de construction de la paix, de l’unité nationale et d’intégration régionale, en veillant à ce que le plus grand nombre ait la possibilité de contribuer équitablement à la richesse et au développement de la culture pour en tirer les bénéfices attendus. D’une manière spécifique, notre observatoire va collecter, analyser sur une base multisectorielle et pluridisciplinaire, diffuser les données de base et les informations sur la culture, les politiques et les pratiques culturelles au niveau national et local. Ce en ayant en perspective la promotion de la diversité comme facteur de participation, d’enrichissement, d’inclusion sociale et d’équilibre, pour un développement durable. Contribuer prioritairement aux moyens de construction et de renforcement de la paix, de l’unité nationale et de la renaissance africaine. Contribuer prioritairement aux moyens de construction et de renforcement de la paix, de l’unité nationale et de la renaissance africaine.

Collecter, analyser et diffuser les informations sur la culture ainsi que sur les orientations et les expériences culturelles y compris les bonnes pratiques développées dans d’autres contextes, susceptibles d’avoir un impact sur la culture nationale et locale au Sénégal ou qui peuvent inspirer la culture dans le pays, dans le sens d’une meilleure prise en compte de la diversité culturelle.

Veiller à ce que tous les domaines du patrimoine, de la création et de l’activité culturelle en général soient partout explorés en vue d’enrichir la culture nationale.

Veiller à ce que la culture soit mieux articulée à une plus grande diversité de secteurs de développement: affaires sociales, sport, tourisme, éducation, média, information et communication, justice, environnement, santé, administration des communautés de base, gouvernance démocratique, religions, y compris les formes de croyances africaines. Veiller aussi à ce que les pratiques culturelles « dysfonctionnelles » présentes dans chaque secteur soient éradiquées.

Nous visons aussi à accompagner et renforcer la démocratie en général à travers la démocratie culturelle en particulier en garantissant la contribution et l’accès de tous à tous les compartiments de la culture nationale et universelle.

Faire en sorte que soit favorisé l’accès sans exclusive de tous les créateurs à toutes les plateformes d’expression, à tous les canaux de diffusion, ainsi qu’aux marchés culturels nationaux et internationaux

Contribuer à briser les carcans et monopoles des marchés captifs, afin que tous puissent bénéficier des emplois et retombées économique et moyens de réduction de la pauvreté.

Faire en sorte que les droits de la majorité, quel qu’en soit le domaine ou secteur culturel, soient dûment reconnus et exercés sur des bases équitables dans le cadre normal d’un fonctionnement démocratique.

Développer des actions d’information, de sensibilisation et de plaidoyer en faveur de la prise en compte de la diversité culturelle ainsi que de l’exercice et du respect des droits et libertés culturels.

Contribuer au renforcement de la bonne gouvernance administrative des communautés et collectivités, à travers une bonne connaissance des mécanismes et des ressorts culturels et humains des gouvernés.

Promouvoir la connaissance, le respect mutuel et l’appréciation réciproque des diverses communautés.

Veiller au strict respect de la personne humaine en général et au respect des spécificités culturelles et identitaires ainsi que des droits et libertés culturels des personnes et groupes étrangers présents sur le territoire national à titre permanent ou transitoire, afin que le Sénégal « pays de la Téranga », ne soit pas un slogan creux.

Rappeler constamment que toute forme de stigmatisation ayant pour fondement la spécificité de l’ethnie, de l’identité et la culture au sens large est une violation des conventions et traités signés et portant sur les droits de passage et d’établissement des étrangers.

Qu’en sera t-il des moyens et ressources humaines pour la réalisation de ces objectifs ?

L’observatoire fonctionnera en partenariat avec les institutions et organismes publics et privés, les associations, groupements et communautés, ainsi qu’avec les plateformes et réseaux divers concernés par son action, y compris ceux intéressés et concernés notamment par le respect et la promotion des droits et libertés culturels des individus et des communautés nationales et des étrangers.

L’observatoire se propose d’être un centre de ressources et de services et un organe de suivi à travers un réseau d’institutions et d’experts impliqués dans la recherche, la collecte et l’analyse de données, la formulation de politiques et dans la prise de décision, dans l’administration et la gestion ainsi que dans la formation et l’information concernant la culture des communautés.

Seront sollicités en priorité, les institutions et organismes chargés des crises et des conflits en Afrique, ainsi que des administrations et instituts nationaux de même que des chercheurs ciblés dans les pays ayant connu des crises et conflits ayant une dimension culturelle identitaire.

Certaines questions concernant la culture en général et les rapports entre les communautés en particulier sont par ailleurs extrêmement sensibles et complexes. Elles doivent être abordées et manipulées avec beaucoup de précautions.

Quid des stratégies et modalités d’action de votre observatoire ?

La stratégie consistera à faire appel aux meilleurs spécialistes des questions traitées et à des spécialistes confirmés de la communication.

La culture couvre un vaste éventail de domaines, de thèmes, de contenus, d’activités et de productions. Elle concerne un grand nombre de groupes, de milieux, de communautés, de publics, de services, de professionnels, d’acteurs et de partenaires. Il est donc difficile de faire correctement et utilement l’observation d’un tel phénomène dans toutes ses manifestations, et d’en rendre compte, qui plus est, avec les moyens limités d’une association nationale africaine.

Et au terme de vos actions, à quoi vous attendez-vous en définitive?

A la préservation de la diversité ! La contribution à la production d’outils et de mécanismes appropriés d’analyse de la dynamique des rapports intercommunautaires. La réalisation d’une prise de conscience effective, partagée par le plus grand nombre, des enjeux, défis et opportunités du respect et de la promotion de la diversité culturelle.

La contribution à une meilleure prise en compte effective de la diversité culturelle dans tous les milieux, les services et les sphères d’activités où elle constitue une exigence.

La définition et la mise en œuvre des politiques et des programmes culturels qui prennent en compte à la fois l’objectif de protection et de promotion de la diversité, sans préjudice cependant des exigences de la qualité et de la quantité des productions culturelles, du développement culturel en général et de l’ensemble du développement national.

Un mécanisme de collecte, de production, d’analyse, d’échanges et de diffusion d’informations et de données, y compris par la mise sur pied d’un centre de ressources et de documentation.

Une mobilisation d’expertise et de compétences nécessaires pour dispenser des avis et services appropriés, y compris des rencontres, échanges, séminaires d’information et de sensibilisation et des modules de formation.
Une production et une diffusion de rapports périodiques, bulletins d’information, publications éditoriales et électroniques et actions médiatiques, et offrir des produits et services culturels.

Propos recueillis par Alassane Seck Guèye
Article paru dans « Le Témoin » N° 1167 –Hebdomadaire Sénégalais (JUIN 2014)

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