Se souvenir de Todorov

Todorov

Je n’étais pas un proche de Todorov même si je le fréquentais depuis longtemps par livre interposé. Je me souviens encore du choc qu’avait provoqué en moi la lecture de « Nous et les autres » que je tiens comme l’un des meilleurs essais sur l’altérité. Dans ce livre admirable et généreux, il réussissait à faire dialoguer par delà les siècles des auteurs  très différents  en nouant entre eux le fil d’une pensée qui mettait en lumière les deux facette de l’humanisme français -comme de tout humanisme d’ailleurs- : le singulier et  l’universel. Moraliste, il aura sa vie durant décliné ces termes en montrant que malgré leurs paradoxes, ils sont complémentaires.

En m’installant à Paris, nos chemins se sont croisés. J’ai alors pu lui proposer de les décliner à nouveau puisque la revue ViceVersa dont j’étais un des animateurs  allait consacrer sa  prochaine livraison aux  rapports entre nation, race et culture. Il accepta volontiers. Le titre de son article s’intitulait «A quoi sert la nation ? » C’était en 1991. Sa démonstration très  élégante  n’opposait pas la nation au cosmopolitisme mais l’enrichissait. «  C’est grâce au maintient des cultures particulières qu’on pourra encore accéder à l’universel ».  Tout l’esprit de Todorov se trouve dans cet  équilibre subtil, cette attitude bien tempérée qui refuse de succomber aux tentations simplificatrices des extrêmes.

Un autre versant de son humanisme se trouve dans l’amour qu’il portait à  Paris comme il exprima dans cette conférence que vous pourrez lire ici . Alors  conseiller pour le Forum des instituts culturels de Paris  (FICEP), j’avais demandé à Todorov s’il accepterait de prononcer l’allocution de conclusion dédié aux écrivains étrangers à Paris. Encore une fois, il acquiesça de bonne grâce. Le colloque s’est tenu à la Bibliothèque Nationale de France  en 2002 dans cette même salle où jeudi le deux mars prochain un hommage lui sera rendu. Dans son  allocution il convoqua trois poètes. Les relations contrastées d’Oscar Wilde, Rainer Maria Rilke, Marina Tsvétaïeva avec la France  lui servirent à illustrer une interrogation qui n’était pas étranger à son propre parcours . « Plus concrètement, la question se pose pour eux : se serviront-ils toujours de leur langue natale ou écriront-ils désormais en français ? »  Ah, la langue française ! C’est par elle  qu’il était devenu français. Il l’utilisait magistralement avec une élégance et une transparence qui lui permettait, sans l’air d’y toucher, de  mettre à distance nos certitudes les plus enracinées.

La dernière fois que je l’ai rencontré, c’était par hasard il y a quelques années dans les corridors du métro Châtelet de Paris. Il marchait  juste à côte de moi. Je l’ai reconnu et aussitôt interpellé. Je venais de lire  son remarquable essai «  La peur des barbares »  et je voulais absolument lui consacrer l’émission littéraire que j’animais alors sur une télévision de proximité. Sans doute l’avais-je dérangé dans ses pensées. Il me regarda d’un air perplexe et distant et m’a dit : « Plus tard quand j’aurais un nouveau livre ». J’ai regardé sa  tignasse blanche ébouriffée s’éloigner sur le quai de la ligne deux.

C’est par mail en 2015 que je me suis rappelé à son bon souvenir. Je lui proposais d’être le conférencier qui ouvrirait le colloque sur les bonnes pratiques en matière de diversité culturelle que l’Observatoire de la diversité  culturelle, association que j’avais co-fondée, organisait à l’occasion des dix ans de la Convention de l’UNESCO du même nom. Mais encore cette fois, la nouvelle rencontre n’a pas pu se réaliser. L’échange fut bref et amical  et se  conclut par ces paroles : « Je vois que les affaires de la diversité culturelle vous tiennent toujours à coeur. A moi aussi.» Avec mon meilleur souvenir »Tzvetan Todorov.  Souvenons-nous de lui. Sa pensée nous manque déjà

 

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