Saint-Sébastien : Le Japon de l’ombre

 

La transcription phindexonétique du japonais est « jishu eiga », deux mots qui se traduisent par « self-made film », en d’autres mots l’objet du cycle spécial dédié au Nouveau cinéma indépendant japonais 2000-2015 par la 63e édition du Festival de cinéma de Saint-Sébastien. Le cycle de films qui s’est déroulé parallèlement à la session officielle a ouvert un regard approfondi sur ce qu’on pourrait appeler le Japon de l’ombre, à savoir le pays profond qui, avec ses angoisses et ses désirs, échappe aux réflecteurs de la grande distribution, et qui est porté sur le grand écran par une génération très diversifiée.

Une génération qui présente non seulement des préoccupations spécifiques qui portent sur la catastrophe nucléaire de Fukushima, « véritable choc culturel » au Pays du soleil levant, ou encore sur le retour du militarisme japonais et la tension avec la Chine, mais qui essaie également, comme l’ont expliqué en conférence de presse Shinya Tsukamoto, réalisateur de « Snake of June » (2002), et Makoto Shinozaki réalisateur de « Sharing » ( 2014), « de rapporter une atmosphère générale de préoccupation, la conscience que l’état des choses en général évolue vers le pire… »

Selon Shuzo Ichiyama, le coordinateur du cycle « le nouveau cinéma indépendant japonais se trouve dans une situation difficile suite à la chute de la vente des DVD, qui a été une source importante de revenus pour les cinéastes indépendants ».Entre les préoccupations pécuniaires et celle du sens, ce cinéma propose une réflexion qui heureusement bouleverse les stéréotypes d’une société discipliné et entièrement dévoué à la réussite sociale que le suicide par l’honneur vient sanctionner car une vie dans la honte ne mérite pas d’être vécue.

A rebrousse poil des lieux communs nippons, « Sawako Decides » ( 2010 ) de Yuya Ishii est emblématique  de cette nouvelle génération de cinéastes. Le film est bien plus que la simple histoire d’une femme qui revient au village natal pour reprendre l’entreprise familiale de boîte de conserve de crabe de rivière. C’est tout à la fois un magnifique portrait de femme, tendre et humain et un hymne aux « perdants » ; ces hommes et ces femmes qui ont fait des erreurs et en paient les conséquences et qui se retrouvent stigmatisés. Dit autrement, « Sawako Decides » effectivement, elle décide de faire la paix avec elle même et son entourage en faisant fi des conventions et avec un irrésistible sens de l’humour.

 D’une île d’orient à une île d’occident, le pas est vite franchi au Festival de Saint-Sébastien : après le Japon, le Royaume Uni ! « London Road » est l’adaptation cinématographique d’un « musical » du « National Theatre » qui raconte avec les mots des habitants d’un quartier de la ville d’Ipswich, le traumatisme collectif qui les avait frappé en 2006 lorsqu’un « serial killer » avait assassiné cinq prostitués. Le film raconte fidèlement comment le quartier autour de London Road, épicentre des assassinats, lutte contre la peur et l’horreur.

Les épisodes musicaux succèdent aux témoignages pour brosser une communauté qui retrouve le sens de la solidarité. Cette œuvre dirigé par Rufus Norris et le compositeur de musique Adam Cork aurait pu facilement tomber dans les lieux communs du « happy ending » Mais ce piège est évité par un épisode : l’une des résidentes de London Road confesse de vouloir remercier l’assassin parce que sans lui le quartier n’aurait pas pu trouver la force de se relever. Ce témoignage met en lumière les oubliées de ce drame : les victimes prostituées de London Road.

 

Passons maintenant de l’île du nord à une péninsule du sud, c’est à dire à l’Espagne de « Lejos del mar », film du réalisateur basque Imanol Uribe.L’histoire tourne au tour d’une rencontre fortuite entre un militant d’ETA, interprété par Eduard Fernandez , sorti de prison après avoir purgé sa peine, et la fille d’un haut gradé de l’armée espagnole assassiné vingt ans auparavant par le même militant. Encore gamine, la fille , magnifique Elena Anaya, était présente lors de l’assassinat de son père et n’a jamais oublié le visage de l’assassin.

Vingt ans après, elle le reconnaît à l’entrée de son lieu de travail, puis comme prise par un déferlement puissant d’adrénaline, elle s’effondre, elle le recherche, le trouve et avec le pistolet de son père ; elle lui tire dessus à bout portant. C’est alors qu’elle change d’avis, le soigne et on pourrait croire qu’elle tombe amoureuse puisque ils font l’amour et, pour rester avec lui, elle abandonne sa famille, mari et enfant. C’est alors qu’advient la seconde volte-face. Qand ils sont en couple dans une relation à peu près consolidé, elle le tue, et se suicide.

Par ce film, Imanol Uribe a eu le courage de toucher à la fin de la violence et la nécessité d’une recomposition sociale ; mais peut être sans s’en rendre compte il nous indique aussi les sombres effets profonds des traumatismes sur l’âme humaine.

En conférence de presse, le réalisateur à dit qu’il « voulait une fin heureuse pour le film », parce qu’il espère que « le film peut servir à surmonter les problèmes politiques par des histoires personnelles », au même temps il a admis « je ne trouvais pas de fin heureuse », « no me sali’a » ou « ça sortait pas ».Ça ne nous étonne pas.

Voire dans Lejos del Mar des « relations personnelles » ou même d’amour fou, comme dans un cas extrême et « sui generis » du syndrome de Stockholm sur les plages du Cabo de la Gata de la côte d’Almeria non encore bétonnée, serait trop facile. Il s’agit plutôt d’une conviction personnelle:c’est une décharge d’énergie érotique qui permet d’exorciser la violente volonté de vengeance et qui aurait sa source dans les mystérieux effets pervers du traumatisme, dans ce cas spécifique, d’avoir vu, gamine l’assassinat du père.Voilà pourquoi le film se termine en tragédie : elle le tue, puis se suicide. Voilà pourquoi le fin heureux « no sali’a ».

 

 

 

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