Festival de Biarritz : la Colombie et les Maya en tête

Le Festival du cinéma et des cultures latino-américaines de Biarritz s’est distingué cette année en mettant l’accent  sur le cinéma colombien et un focus sur l’une des plus anciennes et complexes cultures de l’hémisphère occidental :  les Maya.

Ce choix a ainsi mis en lumière les effets d’une nouvelle loi du cinéma qui a fait faire  au cinéma colombien un bond exponentiel. Les responsables d’un fonds pour le développement du cinéma colombien, présents à Biarritz, ont expliqué la volonté du pays de se doter d’une véritable industrie nationale du cinéma et ont souligné l’intérêt de coopérer avec tous ceux qui veulent filmer en Colombie. « En 2001 nous avions produit trois films, et grâce à la nouvelle loi cette année 2012 nous avons accès à 22 films » a expliqué Adelfa Martinez, responsable du dit fond. Pour faciliter la tâche la nouvelle législation colombienne prévoit aussi des remboursements intéressants. « Nous attendons une invasion de cinéastes qui viendront tourner en Colombie » a-t elle ajouté en soulignant que la loi prévoit des « remboursements allant jusqu’au 40% pour les dépenses cinématographiques et de 20% pour les dépenses logistiques ».

Il n’est pas anodin d’ouvrir cette chronique sur le cinéma par cette information d’intérêt spécifique pour les agents de l’industrie du cinéma, mais qui peut paraître secondaire aux yeux du grand public. En fait il est important de souligner que la Colombie semble avoir compris ce que beaucoup en Europe ont oublié (voire notre dernière chronique sur le Festival de Saint-Sébastien) : le cinéma n’est pas seulement une expression culturelle, un miroir des rêves et des démons d’une société, mais il est aussi une industrie qui crée emplois qualifiés et par conséquent de la richesse.

Précisons deux points qui sautent  aux yeux  quand on voit ce qu’en fait le cinéma colombien produit sur les écrans et sa réception à Biarritz . Décomplexé de la guerre et de la violence  de ces dernières décennies, les films touchent une gamme de sujets auparavant presque inédits ; deux films colombiens ont remporté les principaux prix de la compétition biarrote. Il s’agit d’Opération E, récipiendaire du prix de la  meilleure interprétation masculine et « Sofia y el terco » ou Sophie et le têtu gagnant du prix du public.

Opération E (comme Emmanuel) s’inspire à un fait réel : Clara Rojas, otages des FARC a un fils né en captivité que les guérilleros confient à la force à un pauvre paysan qui gagne sa vie comme « raspachín », petit fabricant de pâte de coca. La vie du paysan interprété par Luis Tosar se transforme en enfer et peut clairement symboliser la vie des couches pauvres de la société colombienne pris entre l’arbre et l’écorche des parties en guerre.

Dans Sofia et le têtu, celui ci étant son mari, homme figé et incapable d’écouter sa femme, le réalisateur Andres Burgo Vallejo met en scène l’actrice espagnole Carmen Maura dans le rôle d’une femme qui veut voir la mer. Le personnage féminin ne parle jamais et se limite à communiquer avec les gestes. Le film parfois lance des clins d’œil à Thelma et Louise. Selon le réalisateur le désir de la femme protagoniste de voir la mer symbolise son combat pour se faire entendre, mais ce message est donné plutôt par un personnage secondaire du film, une fille du village qui s’échappe de la maison pour travailler un temps dans un bordel. Recherché comme « disparue » ce qui est fort grave dans un pays en guerre, la fille défend son choix face à l’ambiance de son village. L’amalgame subliminal de la liberté avec la prostitution nous semble dans le meilleur des cas léger… trop léger.

Le gagnant de l’Abrazo ou l’accolade du meilleur film a été l’argentin « De martes a martes » ou de mardi à mardi, réalisé par Gustavo Triviño. Le film raconte une semaine dans la vie d’un géant taciturne passionné de musculation qui vit une petite vie d’ouvrier pleine d’abus. L’haltérophile silencieux se trouve à assister à un viol d’une jeune fille et arrivera à faire justice. La trame peut paraître banale, mais le film est originel, les images et la colonne sonore accompagnent les états d’âme des personnages. Dédié aux victimes de viol d’Argentine ce journal visuel d’une semaine a bien mérité le premier prix du Festival de Biarritz.

Le prix pour la meilleure interprétation féminine est allé à « La demora » ou L’attente coproduction du Mexique et d’Uruguay signé par le réalisateur Rodrigo Pla et interprété par Roxana Blanco. Il s’agit de l’histoire d’une femme dépassée par les événements qui décide dans un moment de faiblesse d’abandonner le vieux père. Le prix pour l’interprétation féminine est bien mérité parce que Roxana Blanco nous introduit dans les différentes dimensions d’une femme seule : l’ouvrière intérimaire dans un contexte de délocalisation de la production et de conflits syndicaux, la mère avec trois petits à la charge, la fille d’un père âgé en train de perdre la mémoire. Le film est également une évocation de la difficulté de l’accueil des personnes âgés et au même temps un émouvant rappel de l’importance des relations entre générations différentes. L’interminable attente du père pour sa fille se terminera parce qu’au fond les petits font comprendre à la mère qu’ils veulent revoir pépère à la maison.

La compétition pour le prix du meilleur documentaire a été remportée par « El etnógrafo » de l’argentin Ulises Rosell, l’histoire de John Palmer un ethnographe britannique parti il y a 30 ans étudier le peuple wichi de la région du Chaco à la frontière entre Paraguay et Argentine et qui termine par y rester vivre sa vie. L’ethnographe britannique ne « danse pas avec les loups » comme l’avait fait Kevin Kostner dans la peau de cet officier de la chevalerie américaine qui devient indien, mais il démontre que le fantasme de « l’homme blanc » rêvant de se joindre aux « sauvages » est bien vivant pour le meilleur et pour le pire.

On disait en ouverture de cette chronique que les protagonistes de cette édition du Festival de Biarritz ont été les Maya. Deux guides spirituels ayant travaillé avec Rigoberta Menchu, le prix Nobel de la paix en 1992, se trouvaient dans la ville basque. Doña Faviana et Don Pedro, ont présenté les principes de leur « cosmovision » et ont dénoncé la commercialisation de leurs croyances. Par rapport à la funeste prophétie apocalyptique qui prévoit la fin du monde le 12/12/2012 par exemple, Faviana et Pedro se veulent rassurants « la vie continuera ».

Le Festival de Biarritz confirme la vitalité culturelle d’un continent. Vue d’une Europe en crise, il faut espérer que l’Amérique latine tienne bon, et puisse apprendre des erreurs commis de cette coté à nous de l’Atlantique.

Dans ce sens le mot de la fin nous a été inspiré par un film qui n’était pas à Biarritz, mais à Saint-Sébastien : « Pérou : cuisine arme social », le film raconte le voyage fait par le fameux chef espagnol Ferran Adriá dans le pays andin et souligne la redécouverte de la part de la population de ses produits de la terre, l’essor des produits des différents terroirs du pays, relate le boom des écoles de cuisine et l’envie des jeunes de devenir cuisiniers.

Que la cuisine, comme le cinéma d’ailleurs soit in arme sociale nous nous n’en doutons pas. Mais l’image d’une paysannerie heureuse et des jeunes cuisiniers enthousiastes sent un peu le roussi de l’image publicitaire. Sauront-ils les latino-américains se défendre mieux que les européens de la malbouffe et de l’agro-business, de la dictature de la grande distribution ? Nous espérons que oui, mais dans la cuisine comme sur le grand écran l’enjeu est de durer sur les longs temps.

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