Diversité culturelle : d’autres pistes pour son opérationnalisation

Rapport préparé pour le services des politiques publiques de l’UNESCO  21 février 2005

L’adoption de la Convention sur la diversité culturelle par une majorité de pays de l’UNESCO ne doit pas nous faire oublier sa genèse. Car si la menace de voir disparaître la diversité des cultures du monde sous le rouleau compresseur d’une « culture de divertissement », devenue loisir mondialisé, elle ne doit pas occulter le nécessaire débat sur les relations que la singularité culturelle entretient avec les diverses formes de pouvoir. Ce débat pourtant traverse l’Histoire ancienne et récente en nourrissant une très riche réflexion sur la nature du droit protégeant l’Homme et le citoyen ainsi que les institutions étatiques censées les garantir.

La mutation rapide des règles d’organisation du commerce international ont obligé l’ensemble des acteurs (états, sociétés civiles, associations socioprofessionnelles) à voler à la défense de leur culture nationale autant que de leurs disciplines d’expression artistique. L’exception culturelle telle qu’elle fut formulée par les hommes politiques français à la suite des accords du GATT, cristallisa un temps le refus de se plier au va-tout commercial avant que ne soit proposée une notion plus ouverte à même de rallier le plus grand nombre tout en respectant la spécificité de chacun. La diversité culturelle, expression fédératrice s’il en est, restituait sur le devant de la scène publique, la complexité d’un monde que les sciences avaient depuis plus d’un siècle mis en lumière mais que les Etats tardaient encore à reconnaître.

Devant l’imminence de ce péril, il devenait urgent de proclamer cette diversité comme un nouvel universalisme et de lui adosser, dans le prolongement du droit naturel et positif, une nouvelle dimension juridique -les droits culturels- que les états et les institutions multilatérales étaient désormais invités à appliquer. La déclaration universelle de la diversité culturelle par les pays-membres de l’UNESCO constitue une étape décisive de cette légitimation qui fait écho à la mise en place d’instances judiciaires internationales permanentes telles la Cour Pénale internationale (CPI).

Face à l’accélération de la marchandisation de la culture, face au rétrécissement du domaine public mise à mal par l’allongement de la propriété intellectuelle, face à la sophistication des technologies de l’information et de la communication (TIC), il s’est donc crée un large consensus qui regroupe des classes et des catégories socioprofessionnels, hier encore en concurrence. Voilà que le personnel politique des Etats-nations, les cadres d’institutions multilatérales, les associations d’artistes, les producteurs, les distributeurs et des ONG à caractère culturel font cause commune pour la diversité. L’on se retrouve ainsi avec un débat réduit à sa plus simple expression. D’un côté, le vice d’une culture del’entertainment produite par un marché anonyme et dévorateur ; de l’autre, les vertus d’une culture enfin reconnue et restituée dans sa pluralité originelle. D’un côte, le triomphe de l’idéologie néo-libérale défendant bec et ongles la liberté d’entreprendre et l’inévitable inégalité qu’elle induit ; de l’autre, les forces coalisées d’une société civile mondialisée revendiquant l’égalité dans l’expression des cultures. Comment expliquer un si massif et paradoxal ralliement ? Pourquoi la question culturelle se réduit-elle à ce manichéisme primaire ?

Afin de sortir de cette aporie et de dégager les principes et modes d’action permettant de réviser les politiques culturelles nationales à la lumière des notions de « diversité culturelle », de « dialogue » et de « développement durable », il nous paraît opportun de définir les termes-clefs.

Bien que cet exercice ait déjà accompagné nombre de documents d’orientation de l’Unesco, il convient de le reconduire en le réinscrivant cette fois dans la perspective de l’évolution des institutions politiques telles qu’elles se sont constituées en Occident. Il va de soi que l’utilisation du français implique des présupposés sémantiques absents dans d’autres langues à l’exception peut-être de celles issues du fonds gréco-latin. Ceci dit, nous nous attacherons à faire ressortir les enjeux qui président au surgissement de la question culturelle depuis trente ans et ceci tant au sein des Etats-membres qu’à l’intérieur des organisations multilatérales qui leur sont adossées. Enfin, nous dégagerons les principes et modes d’actions dans la perspective de l’évolution de l’Etat-nation vers l’Etat-culture.

La diversité et le début de la civilisation des moeurs

Occultée, combattue et parfois exaltée, la diversité culturelle fut inégalement appréciée au fil des siècles, même si elle constitue la trame de l’identité humaine. « La France se nomme diversité » proclamait le grand historien Fernand Braudel synthétisant par cette formule mille ans d’histoire. Sept siècles plus tôt, un Dante Alighieri n’avait-il pas procédé à un inventaire de la diversité linguistique de sa péninsule et de son pourtour avant de proposer un « vulgaire illustre » : « soit une langue qui soit commune à toutes les cités sans appartenir à aucune » ?

Si la diversité se décline en fonction des enjeux d’une époque, elle n’est jamais très éloignée du concept d’universalité qu’elle a contribué à nourrir ou à redéfinir tout au long de l’histoire. A l’aube de la Renaissance par exemple, il s’agissait de redéployer un universalisme chrétien à l’aulne de la modernité des nations émergentes. Les artistes et les écrivains en furent les premiers acteurs. C’est à eux d’ailleurs que l’on doit l’acception moderne de « culture » telle qu’elle sera portée durant tout le Moyen-Âge par cette « civilisation des moeurs » grosse déjà des Lumières dont elles sont la préfiguration.

De « cultura » à « Kultur »

Car du point de vue étymologique, « diversité » désigne d’abord « la différence, la variété » qui dérive du latin « diversus » ou encore « contradiction, divergence » issus de « diversitas » et qui rappelle la position de l’artiste, à rebrousse-poil de sa société dont l’exemple-type se trouve dans la « République » de Platon. D’autre part, la culture n’est pas d’origine grecque mais latine et renvoie primitivement au rapport de l’homme avec la nature, que les Latins étaient soucieux tout à la fois de faire produire (l’agriculture) et d’honorer (le culte). Cicéron aurait été premier à l’appliquer aux choses de l’esprit en tant que « cultura animi ». Car pour les Latins, il s’agissait de « cultiver son esprit comme on laboure un champ ». De ce fait, la culture se trouvait en harmonie avec la nature et participait de plein pied à l’éducation du citoyen romain. Cette acception connaîtra ensuite une longue éclipse et il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que l’allemand réintroduise la métaphore latine en tant que « civilisation envisagée dans son caractère intellectuel » (Le Robert Historique).

Il est opportun de rappeler qu’à l’époque « Kultur » s’oppose à la notion de « civilisation » qui, elle, suppose une hiérarchie, une décision. Kant mais surtout Herder ne sont pas étrangers à cette acception consensuelle et non hiérarchique qui institue le peuple en tant qu’acteur de l’histoire. Dès lors, la culture finira par s’imposer en annexant l’acception impartie à « civilisation » et à sa matrice -les Beaux-arts – qui lui appartenait de façon intrinsèque. Cette confrontation perdurera tout au long du XXe siècle et marquera même la fondation de l’Unesco qui, à ses débuts, penchera plutôt pour la première définition . Il faudra attendre les années 1980 et la conférence de Mexico pour que cette instance propose une acception de la culture qui « englobe, outre les arts et les lettres, (c’est moi qui souligne) les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances(1) ».

Kultur vs civilisation

La victoire de la « culture » sur son concurrent « civilisation » n’est pas fortuite. Arrêtons-nous un moment sur les enjeux de ce débat tel qu’il se présentait en Europe à la fin du XVIIIe car ils nous aideront à mieux comprendre et à circonscrire l’opérationnalisation de la diversité culturelle aujourd’hui. A l’époque, les Lumières avaient porté à leur apogée le modèle historique et littéraire français. Dans les cours d’Europe, explique le sociologue Norbert Elias, le « goût », la « civilité », la « perfection formelle » étaient des vertus françaises qu’on opposait aux parlers grossiers des peuples d’Europe. Ce fut particulièrement le cas pour Frédéric II de Prusse, acquis au goût français, qui alla même jusqu’à prôner un programme d’enrichissement de l’allemand par le français. La nouvelle élite artistique, appartenant à la petite et moyenne bourgeoisie, ne l’entendait pas de la même oreille. Au contraire, les Lessing, Goethe, Beethoven, Schiller revendiquèrent un modèle de culture singulier qui valorisait « l’authenticité » de la langue et des traditions populaires contre la puissance aristocratique et cosmopolite de l’universalisme français. Mais le coup de grâce fut porté par Joahnn G. Herder qui prôna l’égalité de valeur de chaque époque passée. Cette pierre dans le jardin à la française de l’Histoire (où les Lumières étaient jugées supérieures) marqua aussi le début du relativisme culturel qui se perpétue jusqu’à nos jours.

La culture fut, on le voit, un enjeu de politique interne en Allemagne et un formidable adjuvant de sa littérature avant de dévier vers le sectarisme durant l’époque romantisme. C’est à ce moment que s’effectuera un autre clivage non dénué d’intérêt pour notre propos : d’un côté la civilisation et la sphère matérielle (l’économie, le social et le politique) et de l’autre la Kultur et la sphère intellectuelle (les arts la religion). Bien que cette dérive se soit produite à l’encontre de l’universalisme prôné par Kant ou par Goethe, elle est révélatrice d’un modèle du devenir humain qui a puissamment contribué à forger le concept de nation moderne en autorisant les peuples non reconnus politiquement et culturellement à revendiquer une existence (littéraire et politique) dans l’égalité.

Cette dialectisation correspondrait, selon Emmanuel Todd, à deux matrices anthropologiques que partage l’ensemble des sociétés humaines. D’une part, la société universaliste fondée sur l’égalité de l’héritage entre les membres d’une même fratrie et ce faisant porteur d’une vision égalitaire de l’étranger ; de l’autre la société différentialiste qui privilégie la transmission du patrimoine indivis. « Ce système met en place une structure mentale prédisposant à percevoir les hommes comme différents, et les peuples comme différents. L’inégalité franche des frères ouvre même la possibilité d’une catégorisation franchement inégalitaire des hommes et des peuples et mène à la distinction d’élus et d’exclus, de supérieurs et d’inférieurs . ». Ce différentialisme n’est pas univoque, tant s’en faut : il fonde une vision de l’homme et de sa liberté qui s’appuie justement sur le respect de la diversité de ses appartenances dont les prémices se trouvent autant dans la Grande Charte (1215) que dans la déclaration de l’Habeas corpus (1679).

Culture de masse, culture mondialisée, exception culturelle, diversité culturelle

Le dernier épisode de cette aventure culturelle nous est fourni par le conflit, parvenu à maturité, entre la culture dans sa complexité fondatrice et la culture mondialisée réduite à sa seule valence marchande : la fameux binôme « culture de masse/société de masse » introduite par l’école de Francfort.

La culture de masse est produite par une société de masse qui n’en conserve que ce qu’elle peut consommer. Énucléé de sa valeur d’usage, c’est-à-dire de son statut, elle ne vaut que par sa capacité à se déterritorialiser à l’intérieur des circuits d’accélération capitalistique : sa valeur d’échange. Marx en son temps avait vu se profiler ce péril. C’est pourquoi il distinguait les choses en tant que produites et utilisées par les hommes et leur valeur dans la société. « Son insistance sur l’authenticité plus grande de la valeur d’usage, sa description fréquente de l’apparition de la valeur d’échange comme une sorte de péché originel au commencement de la production marchande reflètent sa reconnaissance impuissante et pour ainsi dire aveugle de l’inexorable imminence « dévaluation de toutes les valeurs » .

La mondialisation préfigure-t-elle cette apothéose prophétisée par Marx ? Là est toute la question. On pourrait inférer que si le nadir renvoie au zénith, la dévaluation appelle résolument la réévaluation de toutes les valeurs. Le débat sur la diversité saisit peut-être dans son ambivalence la double nature de la culture : sa valeur d’usage et sa valeur d’échange. Par les savoirs et la maîtrise technique qu’elle concentre sur un support, un objet, la culture est matière et de ce fait participe de la sphère du privé et de l’économie chère aux Grecs. Mais elle est aussi porteuse d’une vision du monde, d’une spiritualité et de ce fait participe de la sphère publique. D’où la difficulté de lui assigner un espace en propre, surtout à un moment où la technologie des savoirs et de la communication est devenue, malgré les crises récentes, la locomotive de l’économie mondialisée. C’est de cette ambiguïté dont les porte-parole néolibéraux ont joué pour récuser « l’exception culturelle » trop marquée par son nationalisme français et sa revendication corporatiste. « Exception culturelle ? Non pas parce que l’exception exclut et que l’exclusion est antinomique avec la culture. » expliquait le 10 avril 2001 Jean-Marie Messier, l’ex-patron de Vivendi-Universal qui lui opposait « la diversité culturelle à laquelle le monde aspire » et que « Vivendi incarne ». On ne peut être plus clair !

Cette profession de foi que ne renieraient pas nombre de politiciens , n’est pas étrangère à la stratégie industrielle conduite par ces « maîtres du monde » axée sur un processus d’intégration à l’échelle mondiale qui visait à croiser un catalogue de produits audiovisuels notamment cinématographiques avec un portefeuille d’abonnés. C’est la fameuse convergence numérique où les TIC servent d’interface universelle pour l’extension d’un marché transnational qui s’accommode mal des exceptions.

La diversité culturelle, on le voit, est devenue un enjeu idéologique de taille pour légitimer la marchandisation de la culture récusée par nombres d’acteurs socio-professionnels qui se réclament de certains vecteurs de l’opinion publique en phase de mondialisation. Qui a raison ? Qui a tort ? Cette guerre idéologique qui commence et dont l’issue est incertaine, n’est pas sans rappeler la querelle des Anciens et des Modernes qui traversa tout le XVIIe et le XVIIIe siècles sauf que cette fois l’issue déborde les cénacles littéraires, les industries culturelles et leurs juteux bénéfices, pour atteindre le noyau même de l’entreprise humaine.

Mais ce loisir de masse relookée en infotainment, pour le plus grand profit des transnationales, a aussi son pendant alternatif qui l’a précédé de deux décennies. C’est la cyberculture. Bien qu’issue de la même matrice libérale ; son développement exponentiel et sauvage à partir du réseau universitaire américain, a mis en péril les postulats du néolibéralisme triomphant et notamment par le piratage. Pour Pierre Lévy, la cyberculture « regroupe l’ensemble des techniques (matérielles et intellectuelles), des pratiques, des attitudes, des modes de pensée et des valeurs qui se développent conjointement à la croissance du cyberespace , saisi comme un espace de communication ouvert par l’interconnexion mondiale ». Quelques années plus tard, il précisera que le Web représenterait la première « objectivation non réductrice de la culture, c’est-à-dire le contexte ou l’hypercontexte médiateur entre les humains ». Et de conclure par ce constat en forme de paradoxe : « il devient aujourd’hui visible que la société est irreprésentable ».

L’État, la société, le politique

Cette « irreprésentabilité » du peuple, de la collectivité est un problème récurrent de la démocratie qui s’est posé dès son établissement. Les réponses ont varié au fil des époques et des collectivités. La première attitude a d’abord consisté à faire en sorte que l’Etat, cet appareil bureaucratique, « détenteur de la violence légitime », associe directement les membres qui la composent. Aussi pour les Grecs, la nécessité d’inventer une nouvelle forme d’Etat ne se justifiait pas puisque la démocratie directe intégrait le citoyen à la gestion de la chose publique. « Le citoyen au sens strict, disait Aristote, aucun caractère ne le définit mieux que la participation à l’exercice des pouvoirs de juge et de magistrat ». C’est pourquoi et, bien que les femmes et les esclaves et les étrangers en étaient exclus, la Polis fut d’abord l’espace dans lequel délibérait l’homme libre pour fixer et réglementer les finalités du bien commun. Elle s’opposait à l’Oikos, l’espace privé de la famille, de l’économie domestique où l’homme satisfait ses besoins élémentaires, s’affranchit des nécessités économiques.

A l’époque moderne ce clivage binaire privé/public va éclater sous la pression d’une nouvelle sphère de l’activité humaine sur laquelle va s’adosser l’Etat pour proliférer et s’étendre : la société. Selon Hannah Arendt dont on suivra ici la pensée, la société est le produit du surgissement des activités et questions domestiques dans la sphère publique. Son irruption conduit à la métamorphose de la communauté en une collectivité économique reléguant du coup le politique à être un relais administratif des besoins domestiques. La conséquence en est le déclin de l’espace public entièrement assujetti à la maîtrise de l’économie. Du coup l’autonomie et l’affirmation de la diversité requise pour la vie politique s’en trouvent empêchées. La compétition des perspectives individuelles est de ce fait mise hors jeu puisque il faut garantir les nécessités de la production.

Le domaine privé est aussi rétréci par cette socialisation. Il ne constitue plus cet espace protégé dans lequel l’individu peut se ressourcer et travailler, mais un espace transformé par le processus social d’accumulation de richesses ouvert aux interventions de l’Etat. Ainsi l’individu se trouve doublement exposé autant dans son intimité privée que dans son action publique en tant que personne et en tant que citoyen.

L’ennui c’est que les principales théories politiques comme le libéralisme économique ou le socialisme s’appuie mutuellement sur le dogme selon lequel les besoins et structures économiques priment sur tous les autres aspects de la vie humaine. Pour les libéraux, la prospérité est le fruit de l’harmonisation spontanée d’intérêts contradictoires : « la main invisible ». L’état doit donc intervenir le moins possible et garantir la stabilité des droits de propriété. Pour les socialistes, l’abondance matérielle résulte d’une action concertée et volontariste de l’Etat. Par delà les différences, l’un comme l’autre estiment que la liberté dépend de la conciliation des antagonismes économiques et sociaux. Cette position intellectuelle se cristallisera en idéologie aujourd’hui triomphante : l’idéologie utilitariste.

Bien sûr, le processus de socialisation n’est pas survenu par hasard. Il se trouve au cœur de la modernité et reflète la complexification des rapports de production et leur débordement au sein de l’espace public. L’Etat a fini par incorporer les revendications populaires exprimées depuis des générations par des catégories de personnes (les femmes, les ouvriers…), hier encore exclues de la citoyenneté. L’avènement de l’état-providence, achèvera de formaliser leur intégration par le biais de politiques et de programmes sociaux sur le principe d’une justice sociale et universelle.

L’émergence du droit subjectif – le droit de la personne- après la Seconde guerre mondiale allait par la suite légitimer cette reconnaissance des minorités infranationales que le flux et le reflux de la décolonisation et de l’immigration avaient rendus nécessaires. La prégnance – voire la survivance – de la culture d’origine induite par les conditions précitées ne seront pas étrangères à l’éclosion des « Cultural Studies » en vogue dans les pays anglo-saxons autant que les droits culturels que l’Etat libéral n’avait jamais encore pris en compte.

La politique du multiculturalisme vient combler ce déficit. Elle s’appuie sur « l’exigence de reconnaissance » exprimée par les minorités afin de redécouvrir leur identité singulière. « La non reconnaissance peuvent causer du tort et constituer une forme d’oppression, en emprisonnant certains dans une manière d’être, fausse, déformée, et réduite ». Le multiculturalisme ou selon certains auteurs « le culturalisme libéral » met à mal la fameuse « neutralité » de l’état instrumentalisé par une classe sociale sous couvert d’universalisme et qu’avait dénoncé naguère par la critique marxienne. La culture du groupe dominant, est donc contestée dans sa légitimée par les théoriciens même du libéralisme politique dont on n’avait jusqu’ici voulu voir que la variante économique. Faut-il pour autant accorder à ces groupes minoritaires une reconnaissance institutionnelle au risque de mettre en péril l’unité nationale et les libertés individuelles ? C’est tout le débat entre les tenants d’une citoyenneté de type universaliste que l’on retrouve surtout dans les cultures de souche latine et les défenseurs d’une citoyenneté de type différentialiste promue dans les pays anglo-saxons à travers de vigoureuses politiques de discrimination positive.

S’il est difficile de trancher entre l’une et l’autre de ces conceptions, leur mise en dialogue a le mérite de réintroduire la réflexion sur les contenus des droits culturels et ce faisant, de la culture en soi. « Toute discussion sur la culture, rappelle Hannah Arendt, doit de quelque manière prendre comme point d’appui le phénomène de l’art ».

Pourquoi ? Parce que l’art est l’expression des formes dont le critère de beauté constitue l’horizon. Pour être en mesure de se faire une opinion sur un objet qualifié d’artistique, il est nécessaire de s’oublier, de mettre à distance de sa condition et des contingences qui lui sont rattachées. C’est de cette imprégnation, que surgiront les images, les impressions à partir desquelles s’élaborera un jugement construit et argumenté. Cette attitude de réceptivité totale, d’abstraction est l’expression même de la liberté. Or on ne peut véritablement en jouir, rappelle Kant que si les besoins vitaux sont comblés.

Le problème, c’est qu’aujourd’hui même dans nos sociétés d’abondance, nous agissons encore comme si la disette menaçait. La préoccupation de nos contemporains reste pour l’essentiel réduite à soi-même et aux moyens d’acquérir plus d’objets à consommer. L’idéologie utilitariste triomphe de plus belle illustrant ce tropisme bien humain qui consiste à généraliser en toutes choses, les règles et procédures qui ont réussi dans un domaine particulier. Or la politique comme l’art et la culture qui se partagent l’espace public, requiert au premier chef « des jugements et des décisions ». Car, dans un cas comme dans l’autre ; il ne s’agit pas d’exprimer le savoir et la vérité mais de formuler des opinions argumentées pour déterminer le meilleur choix tant sur l’action à entreprendre pour le bien commun que les objets où les œuvres dignes d’être exposées, publiées.

Le goût et les valeurs qui lui sont rattachées, adossées au dispositif rhétorique qui servent à les étayer constituent bien l’essentiel de l’activité culturelle et politique de l’homme. C’est la raison pour laquelle les arts et plus spécifiquement la littérature ne sont pas une valence comme une autre dans le grand ensemble de la culture mais bien le processus même de l’universel. Cette « politique de civilisation » que réclame un Edgar Morin est bien au cœur du devenir de l’humanité.

Dès lors, la diversité culturelle peut trouver dans une politique de civilisation un terrain d’application auprès des politiques nationales car elle reconduit la primauté de l’espace de délibération sur le social et le privé, qui a toujours été défendu par les lettrés dans ce qui constitue « la république des Lettres ». Elle rebondit avec force à chaque moment de crise ; à chaque fois que l’espace public est menacé ou change de paradigme. Ses grandes étapes furent celles qui accompagnèrent la création de nations : au XIVe siècle, en Toscane avec le déclin du latin, lingua franca des savoirs, et l’émancipation d’une nouvelle catégorie de clercs émancipée du pouvoir de l’Eglise ; en île de France au XVIe siècle qui fit de la langue, grâce à l’imprimerie, le fondement de la nationalité ; en Prusse au début du XIXe sicle avec l’avènement de lettres allemandes adossés à la notion de « peuple » et de « nation » ; durant la Seconde guerre contre le régime nazi, et enfin en ce début de XXIe siècle où la mondialisation transforme les espaces nationaux et les valeurs et les principes qui les fondent.

La montée des nouvelles classes moyennes

Ce changement s’incarne par l’émergence d’une nouvelle classe qui s’émancipe des tutelles antérieures et développe ses propres références et son propre langage, faisant fi des jargons et des techniques du pouvoir précédents. Ce qui arriva en France au milieu du XVIIe siècle où l’horizon des « honnêtes gens » constituait la référence pour tout auteur qui ambitionnait de se faire lire. « C’est le public des lecteurs parisiens qui devient le tribunal international des livres, au lieu du public international des doctes lisant, écrivant et publiant en latin…Paris devient ainsi un filtre qui laisse passer de préférence, des livres courts, écrits d’un seul jet, et où l’utile est inséparable de l’agréable ». Il en fut de même pour la nouvelle classe bourgeoise allemande qui éleva les lettres allemandes à la hauteur de sa concurrente française.

Le principe d’intermédiation de la classe moyenne mondialisée

Qu’en est-il aujourd’hui alors que la référence nationale est soumise de l’intérieur à la pression des particularismes minoritaires, et par l’extérieur, à celle de la culture de l’entertainment. Sur quel groupe social peut s’appuyer une politique culturelle nationale pour illustrer la diversité culturelle ? Il existe désormais au sein des états-nations et à leur frange une classe moyenne en phase de mondialisation, issue de l’immigration et de la décolonisation et ayant en commun un certain nombre d’habitudes et de valeurs, de tournures d’esprit qui se démarquent des clivages et des idiosyncrasies nationales. Cette classe moyenne, courtisée par les politiques mais aussi malmenée par la mondialisation, peut jouer le rôle des « honnêtes gens » qui au XVIIe siècle ont servi d’instance de réception aux lettres et à la culture en phase de mondialisation.

La publicité a tendance à la portraiturer en cadres dynamiques, friands de technologies, à l’aise sous toutes les latitudes et parlant plusieurs langues. Si elle possède des affinités transnationales ; ce n’est pas en tant qu’elle participe de la traditionnelle petite élite de haut fonctionnaires, de diplomates, de cadres supérieurs, et d’universitaires qui de tout temps ont sillonné la planète, mais bien qu’elle résulte des transformations sociales issues d’une même expérience : celle de l’immigration et de la décolonisation. Dans ces cas précis, la logique d’intégration et de l’ascension sociale n’est pas la même.

La redécouverte de ces héritages amène naturellement une partie de cette classe moyenne à jouer un rôle d’interface entre les diverses cultures dont elle est la dépositaire ( cultures populaires, nationales, langues, sociétés civiles…) Or cette intermédiation est mal connue et reconnue. Une meilleure prise en compte de son rôle contribuerait à donner cette légitimité populaire qui fait défaut à la Déclaration universelle de la diversité culturelle et que ne considère pas suffisamment des politiques du multiculturalisme généralement axées sur la conservation des particularismes plutôt que sur leur transformation. Pourtant la valeur ajoutée de la diversité culturelle en tant que patrimoine de l’humanité réside bel et bien dans sa capacité à redynamiser les cultures nationales. Cette classe moyenne mondialisée constitue de fait l’assise de la société civile mondiale dont il faudra tenir compte dans une stratégie de valorisation nationale et internationale de la diversité culturelle. Principe d’autonomie des univers de production culturelle

Adossé à ce principe d’intermédiation ou de transculturation propre au devenir d’une société mondialisée, il convient de reconnaître et d’envisager la mobilisation d’une « véritable internationales des artistes et des intellectuels« attachés à défendre l’autonomie des univers de production culturelle ou la propriété des producteurs culturels sur leurs instruments de production et de circulation ( donc d’évaluation et de consécration) » Selon Pierre Bourdieu, cette menace est consécutive à la financiarisation de l’art autant que l’exclusion des artistes, des écrivains hors du débat public au profit des « nouveaux maîtres à pensée sans pensée ». Leur fonction est de servir d’agent de la mondialisation en discréditant les oeuvres destinées à un marché restreint et donc susceptible de durer plus longtemps que celle de consommation courante, d’entretenir la confusion sur la valeur d’une œuvre en accréditant l’idée qu’elle est directement proportionnelle à ses ventes. Hors du marché, point de salut. Ce combat est d’autant plus vital qu’il touche le cœur même de la culture et le principe de liberté et de la libre parole.

Pluralisme identitaire et de multicitoyenneté

Si les artistes et les écrivains se doivent de travailler collectivement à l’établissement de ce « corporatisme de l’universel », il ne peut être efficace, un second dispositif est aussi nécessaire. Il réside dans la reconnaissance du pluralisme identitaire vécue par cette frange la classe moyenne ci-haut mentionnée et qui fonde la multicitoyenneté d’aujourd’hui. Car les représentants de cette classe moyenne mondialisée sont souvent des binationaux, voire des multinationaux. Leur « existence administrative », leur légitimité est le fruit de la modification de la loi sur la citoyenneté qui a eu lieu dans nombres de pays durant les années 1970 et 1980. Cette modification permet aux étrangers s’installant dans le pays d’accueil de préserver leur citoyenneté d’origine. L’immigration, le vieux lien colonial et la nécessité d’aménager les cotisations des fonds de retraite ont conduit nombre d’Etats à assouplir leur réglementation dans ce sens.

Il s’est donc constitué au fil du temps une importante population flottante « d’expatriés » ou de « multinationaux » vivant depuis longtemps dans le pays d’accueil et jouissant encore des droits du pays d’origine. Selon le clivage national, cette communauté pose d’emblée la question de l’allégeance qui demeura longtemps un sujet sensible ou tabou. Aujourd’hui, tel n’est plus le cas. La reconnaissance et la mise en dialogue de cette réalité de plus en plus partagée contribueront à mieux ancrer une politique nationale sur la diversité.

Programme d’action

La première de ces dispositions demeure la mise en place d’un programme d’analyse-action en mesure de repérer et d’identifier les contours de ces nouveaux citoyens (profil socioprofessionnel, nombre…). Ensuite il convient de favoriser leur organisation à travers une série d’initiatives, manifestation-rencontre, capables d’encadrer et de stimuler leurs potentialités créatrices et médiatrices. A cette formalisation en amont doit correspondre une élaboration de contenus en aval en mesure d’alimenter et d’activer ces réseaux.

C’est pourquoi nous préconisons, en guise de test inaugural,1. des Etats Généraux sur ces questions. Cette rencontre, organisée à l’initiative de l’UNESCO, permettrait a) de mieux identifier les moyens et les actions pour mieux faire connaître et faire fructifier les relations multilatérales entre les divers pays ; b) de fédérer l’ensemble des initiatives ;c) de positionner et renforcer la place et la fonction de la diversité au cœur de cette société civile et dans les réseaux associatifs qui lui sont concomitants.

2. une rencontre croisée entre binationaux de divers pays. Ce genre de rencontre qui pourrait être retransmise en vidéoconférence permettrait de poser le problème de l’expatriation et fédérer dans un second temps sous ce thème les principales communautés binationales en Europe et ailleurs. -Car ce problème se pose également pour nombre de pays. La publication et la diffusion des contenus à travers sites Web et publications en ligne et sur papier sont les plus sûrs moyens de pérenniser ces initiatives en leur donnant une visibilité calculée en fonction des buts à atteindre.

Dialogue et diversité culturelle

Les initiatives ci-haut mentionnées visent à mettre en dialogue les cultures nationales avec leur propre origine multiple en évitant que cette plongée aux sources ne réveille les vieux démons identitaires. Un authentique dialogue et l’apprentissage des règles qui lui sont rattachées peut effectivement servir de cadre approprié à l’expression de la violence fondatrice qui préside la relation avec l’autre. Pour cela il convient de retrouver le sens originel « d’entretien, discussions » que lui prêtaient les Grecs ( dialogos) et d’où dérive d’ailleurs le terme de « dialectique ».

La confrontation avec l’autre par l’exercice raisonné de la parole conduit à désamorcer cette violence, en l’obligeant à trouver sa propre justification dans une finalité qui lui est supérieure. Cette violence subsumée et donc pacifiée permet d’accéder au monde des valeurs et donc à la compréhension du monde et de ses lois intrinsèques. Dialoguer suppose la reconnaissance de l’autre dans sa différence. Si elle ne conduit pas nécessairement à l’égalité de fait entre les interlocuteurs, la technique du dialogue est une ouverture, car cette exposition à l’autre implique la possibilité d’être influencé par lui, d’être transformé à son contact, d’éprouver l’ébranlement de ses opinions. Bref, dialoguer c’est risquer de devenir autre, d’abandonner ses anciennes croyances et changer. Voilà pourquoi certains se replient, campent sur leurs positions dans un « dialogue de sourds » stérile et frustrant.

Pour dépasser ses craintes, outre les conditions exprimées mentionnées plus haut, il faut consentir à sa liberté intérieure. Ce faisant on s’autorise en retour à se percevoir comme sujet libre en mesure d’émettre un jugement, une opinion et à la défendre auprès de l’autre par le biais de techniques du discours et d’arguments appropriés . Etre influencé mais aussi influer, être persuadé mais aussi persuader ; tel est bien le mouvement alternatif du dialogue, d’où naît la Polis, cette instance de délibération en crise aujourd’hui. Le véritable dialogue n’est donc pas un exercice froid et distant de logique cérébrale mais une action qui convoque l’être entier dans ses passions, ses désirs, et sa raison. Platon l’a illustré de belle façon. Dans ses dialogues, il fonde littéralement la philosophie en imposant la recherche de la vérité comme finalité de l’humanité. Le dialogue n’exclut pas la dispute, le conflit. Bien au contraire. Platon nous en donne un exemple dans le Gorgias, du nom d’un célèbre sophiste, l’un de ses plus célèbres dialogues qui commence justement par le mot « polemos ». Car l’enjeu crucial de cette polémique renvoie à l’idée de « contrat », d’autonomie du langage et par ce biais à la notion de « goût «  ».

La diversité culturelle se trouve en quelque sorte dans le même cas de figure. Si elle participe à une culture en particulier, elle ne lui appartient pas en propre, c’est tout le problème du métissage et de la transformation qui est ici problématisé c’est pour cette qu’elle fut nié tout au long de l’histoire à l’instar de la rhétorique. Cette analogie n’est pas fortuite et nous conduit à nous interroger sur les raisons qui ont poussé la rhétorique comme la diversité et être marginalisées. Alors que la rhétorique était considéré comme une discipline distincte de la poétique chez Aristote, elle sera par la suite incorporée à la littérature au point de se confondre avec elle pour être finalement exclue de l’enseignement. (Comme repère, il est opportun de rappeler que la France abolit par exemple les cours de rhétorique en 1905 pour le remplacer par une histoire littéraire). La raison en est que l’une comme l’autre n’ayant pas de territoire propre, la rhétorique se trouvent dans une position de faiblesse, comme l’étranger. Il est donc facile de l’annexer, de l’assimiler.

Dans un univers préoccupé depuis l’Antiquité de bâtir un système d’identités fortes et non équivoques adossées la logique aristotélicienne, il allait de soi que de telles notions soient condamnées. Aujourd’hui alors que nous sortons du règne de ce dispositif univoque et unidisciplinaire, il est désormais possible de réinscrire ces notions nomades, polysémiques, véritables fabriques de l’universel, à l’endroit qui a toujours été le leur : au cœur de la Cité.

Diversité et développement durable

C’est de la sorte que la diversité culturelle peut entre dialogue avec le développement qui n’est plus pris dans son acception programmatique, c’est-à-dire inscrite dans la logique du progrès disciplinaire et identitaire de l’Occident, mais bien dans sa continuité écologique avec l’ensemble des savoirs traditionnels. Ce dialogue, il faut le voir dans une dynamique de transformation qui permettrait à ces savoirs de trouver leur légitimité en utilisant les ressources du langage pour se dire et s’affirmer dans ce que l’épithète « durable » implique : la conscience des limites. Après que la Renaissance ait placé l’homme au centre du monde voici qu’à notre époque, plus consciente des catastrophes écologiques, c’est le monde qui retrouve sa place au centre de l’homme. Ce renversement de perspective est bien tout l’enjeu du développement durable. Et demain, des nouveaux marchés et gisements d’emplois. Si le développement durable est aujourd’hui reconnu par les institutions multilatérales comme L’Union Européenne, l’OMC (qui a adopté un agenda pour le développement) mais aussi nombre de pays, il n’en demeure pas moins l’objet d’un malentendu d’autant plus pernicieux que le consensus est large. La ratification du protocole de Kyoto qui sépare les pays propres des ceux pollueurs dont les Etats-Unis ne peut faire illusion longtemps. Il faut une réelle volonté politique et civile pour que le principe d’aujourd’hui ne devienne lettre morte demain. Car ce consensus autour du développement durable brouille la lutte idéologique qu’elle recouvre. Joseph Stiglizt, prix Nobel d’économie rappelait récemment que la mondialisation sauvage état surtout le fruit « d’une idéologie des « fanatiques du marché ». Pour créer de la valeur autour du développement durable, la sortir de la tentation de la marginalité, il est donc opportun de savoir convaincre, parer aux critiques qui voudront la réduire aux réseaux alternatifs.

Diversité culturelle et programme d’apprentissage des techniques de l’argumentation

La valeur autour d’un objet qu’elle soit spirituelle ou matérielle et d’un marché, naît souvent de la combinaison d’une conjoncture et d’une conviction. Le reste ensuite est affaire de temps. Si la conjoncture est aujourd’hui favorable au développement durable, il n’est pas sûr en revanche que la conviction soit au rendez-vous. La raison tient peut-être à la connotation défensive du développement durable vu comme une limitation à la croissance, un arrêt à la liberté d’entreprendre. Il s’agit ici d’effectuer un travail de légitimation à partir des grands textes fondateurs des libertés individuelles pour faire ressortir la continuité du Droit. Ce travail ne doit pas être seulement initié dans les ministères, les universités, les instances multilatérales mais au cœur de la société civile avec l’accompagnement de l’éducation nationale. Nous pensons qu’une manière de développer et d’approfondir de la valeur ajoutée autour de la diversité culturelle consiste à faire de l’histoire et de la pratique des techniques de l’argumentation l’objet d’un enseignement indépendant mais en relation avec les professeurs d’histoire, de littérature et de philosophie du moins dans les classes de second cycle. Dans un monde où la persuasion est omniprésente, en connaître les mécanismes devient indispensable pour être une personne libre. C’est de la sorte que la diversité culturelle peut devenir l’objet d’une compétence mais aussi conforter un développement à mesure d’homme.

Valorisation de la diversité culturelle dans le monde du travail

Aujourd’hui la diversité culturelle n’est valorisée en tant que mobilité sociale qu’auprès de certains cadres supérieurs et milieux très spécialisés. Ainsi par exemple les relations internationales sont connotées à la sphère du politique ou alors à celle du management international auxquelles seules pourraient accéder les grandes multinationales sans voir que l’international se trouve aussi au sein des familles et des plus modestes PME. Il serait opportun de sensibiliser les acteurs (agences nationales pour l’emploi ; directeurs des ressources humaines, syndicats, associations socioprofessionnelles associations de chômeurs, sociologues, patronat) dans un débat afin de valoriser plus largement la diversité culturelle dans le monde de travail et de l’entreprise. Le facteur de la diversité pourrait entrer par exemple en tant que variable dans les agences de notations sociales. En complément d’action, il serait opportun d’encourager la création d’un réseau d’associations multiprofessionnelles et internationales susceptibles d’animer des sites Web et des lettres professionnelles spécifiquement consacrées à ces clientèles.

***

L’unité dans la diversité ne peut être préservée que si une authentique politique du « goût » est mise en place. Il s’agit d’intervenir sur les représentations et sur les idées reçues que l’on se fait de la culture et de la politique et qui impliquent un certain type d’actions. Pour y parvenir un certain travail est nécessaire et notamment sur les idées qui nous gouvernent, Il y a quelques années, Tzvetan Todorov suggérait justement une troisième voie pour sortir de l’antagonisme de la nation axé sur la race et la nation axé sur le contrat. Le premier renvoie à l’entité biologique, au droit du sang, le second concerne le droit du sol. L’une est physique et l’autre morale, l’une est naturelle l’autre artificielle. Il ne s’agit pas ici de faire une simple addition de l’une et de l’autre mais bien de les conjuguer dans un autre rapport : la nation comme culture. « De même que la race, la culture préexiste à l’individu, et on ne peut changer de culture du jour au lendemain (à la manière dont on change de citoyenneté, par un acte de naturalisation). Mais la culture a aussi des traits avec le contrat ; elle est innée et non pas acquise… Cette interprétation permet de contourner en même temps l’antinomie de l’homme et du citoyen ».

Cette transformation de l’Etat-nation en Etat-culture est plus que jamais nécessaire pour éviter que demain les négociations sur la culture ne se fassent uniquement que de façon bilatérale où évidemment la raison du plus fort finira toujours par l’emporter. C’est pourquoi l’Europe de la culture mais aussi la culture du monde entier deviennent les étapes incontournables de cette transformation politique qui ne se concerne plus les mentalités mais la planète toute entière. Quelle place les Etats-nations, les organisations multilatérales, le marché réserveront à ces dispositifs culturels ? Les artistes et créateurs du monde sauront-ils prendre la mesure du poids politique qui est désormais le leurs ? La réponse à ces questions réside dans la capacité à retrouver la vocation première de la culture qui est celle d’être le réseau organique des relations entre les hommes.


NOTES INFRAPAGINALES

1. « A ce stade initial, la culture elle-même semble avoir été appréhendée plutôt en termes de productions artistiques et de pratiques extérieures qu’en tant qu’un ensemble de modes de pensée, de sentiments, de perceptions, de manières d’être au monde, profondément intériorisées et créateurs d’identités ». L’Unesco et la question de la diversité culturelle, Bilan et stratégies 1946-2000. Paris, Document, Internet, 2000.

2. Johann G. Herder, Histoire et cultures, une autre philosophie de l’histoire, Paris, Garnier Flammarion, 2000

3. Emmanuel Todd, Le destin des immigrés, Paris, Seuil 1994, p.217

4. Hannah Arendt, La crise de la culture, Paris, Idées/Gallimard, 1972 p. 48

5. A la veille de la rencontre de Seattle de 1999 où l’on discutait de l’inclusion de la diversité culturelle dans les négociations, le secrétaire d’Etat au Commerce extérieur français affirmait : « Le modèle de l’OMC n’est pas celui de la domination des forts sur les faibles, mais celui cher à notre tradition du contrat social… Le développement économique et social, la diversité culturelle, la protection de l’environnement, le renforcement du droit sont les valeurs qui font partie de notre modèle de civilisation. Nous devons donc aborder ces négociations dans un esprit offensif nouveau car ces valeurs, nous souhaitons non seulement les défendre mais aussi les propager ». De même, des experts avaient défendu l’inclusion de la culture dans l’Accord Multilatéral sur l’Investissement et plus généralement dans les accords internationaux…« Car la diversité, et au premier chef la diversité culturelle, est l’essence même de l’échange ». Cités par Serge Regourd, L’exception culturelle, collection « Que sais-je ? », PUF, 2002 p.101. Plus de 5700 films et de 27 000 téléfilms et 14 millions d’abonnés de Canal Plus dans plus de 11 pays sans parler des abonnés de SFR.

6.Pierre Lévy, Cyberculture, Rapport au Conseil de l’Europe, Paris, Odile Jacob, 1998.

7.Pierre Lévy, World philosophie, Paris, Odile Jacob, 2000.

8.Charles Taylor, Multiculturalisme : différence et démocratie, Paris, Aubier, 1992.

9.Will Kymlicka,

10. Hannah Arendt, ibidem.

11.Marc Fumaroli, La querelle des Anciens et des Modernes, Paris, Gallimard, 2001

12.Pierre Bourdieu, Les règles de l’art, Paris, Seuil/points, 1998, p.557

13.Ibidem

14.Robert Richard, L’émotion européenne, Montréal, manuscrit, 2002. « Si ce dialogue occupe une place importante dans l’histoire de la pensée occidentale, c’est qu’on y trouve, thématisée pour la première fois, la question de l’athéisme en philosophie politique : c’est Calliclès, (un disciple de Gorgias) qui défend la notion d’un ordre civil dont les principes doivent s’élaborer à même l’activité des hommes- nul besoin de référer aux dieux où à une quelconque sphère des Idées immuables. Evidemment, Socrate va s’employer à réfuter de telles notions.

Contrairement à Platon qui défend un langage fondé sur son utilité technique, un rapport direct avec les choses, l’art pratiqué par Gorgias – la rhétorique – « est un art dont le but est de convaincre, non pas en vertu d’un savoir objectif, mais en vertu d’une force qui est propre aux mots. D’où la notion de la rhétorique comme étant à la fois « de partout et de nulle part » : elle est susceptible d’intervenir dans les différents champs du savoir (médecine, génie civil, etc.) sans pour autant faire partie d’aucun champ ».

15.Tzvetan Todorov, Nous et les autres, Paris, Seuil, 1988

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