Festival de cinéma de Saint-Sébastien : des premiers films pavés de bonnes intentions

Oliver Stone

Le Festival de cinéma de Saint-Sébastien célèbre cette année ses 60 ans. Forte de  cette longue expérience, le festival nous montre qu’en tant que miroir de notre époque, le cinéma se doit de rappeler que les temps que nous sommes appelés à vivre sont marqués par des crises de fond, des inquiétudes profondes et par une violence de plus en plus sauvage.

« Arbitrage » le film d’ouverture de la compétition officielle est un thriller dramatique ordonné comme une comédie  dont la toile de fond est la crise financière. Dirigé par Nicholas Jarecki, qui fait ses premières armes comme réalisateur et magistralement interprété par des grands acteurs chevronnés  comme Susan Sarandon, Richard Gere et Laetitia Casta, le film raconte  la vie d’un homme (Richard Gere)  qui évolue dans la haute finance newyorkaise en  accumulant dans la sphère privée comme professionnelle petits mensonges et grandes fraudes  Les mensonges toutefois s’accumulent pour devenir  des tragédies et les fraudes frôlent la ruine de la famille du protagoniste. Inutile de dire  que le personnage principal  est une copie conforme  des  ces financiers corrompus qui ont conduit la finance dans la tourmente  et des millions d’épargnants à la ruine de milliers.

Un film opportun pour notre époque donc Arbitrage, surtout parce qu’il met en évidence les tendances de fond d’une société américaine qui n’arrive pas à se libérer de ses mythes et de ses démons. Le policier qui essaie d’amener le protagoniste devant la justice, éprouve en effet un sentiment d’indignation que ressentent beaucoup de citoyens à l’égard  des super riches qui arrivent toujours à s’en sortir. La relation entre ce même flic blanc interprété par Tim Roth et le personnage du jeune noir de Harlem, fils de l’ancien chauffeur du protagoniste mérite aussi d’être signalé. Nous avons là une radioscopie fidèle des relations difficiles  entre blancs et noirs même s’ils partagent des intérêts communs et de la fidélité presque féodale que la charité intéressée des riches engendre souvent chez les moins privilégiés.

Dommage que le réalisateur n’a pas su ou voulu voir explorer plus à fond  ce rapport  et se soit contenté d’une simple « performance » des acteurs.  Car si le film résonne comme un réquisitoire contre les abus de pouvoirs  des puissants le réalisateur semble ne pas s’en être aperçu. Dommage

Voilà également un travers dont souffre, nous semble-t-il Argo,  un film hors compétition présenté aussi dans  la compétition officielle.  L’enfer est pavé de bonnes intentions dit le vieux proverbe. On se demande comment un film qui, aux  dires de son réalisateur en conférence de presse, entend dénoncer  les conséquences de l’intervention anglo-américaine en Iran de 1953 (qui renversa le  gouvernement nationaliste de l’ancien premier ministre laïc Mossadeq), finit par devenir un film de propagande contre l’Iran aujourd’hui…

Le film, réalisé par Ben Affleck,  est interprété par Alan Arkin  comme par le réalisateur dans le rôle du protagoniste. L’œuvre raconte l’histoire d’une opération secrète dirigée par la CIA à l’époque de la crise avec l’Iran pendant la prise  d’otages du personnel de l’ambassade américaine à Téhéran au lendemain de la révolution islamique de 1979. Une opération réussie qui sauva six diplomates américains réfugiés à l’ambassade canadienne d’Iran. Le film  est tourné dans le registre des thrillers politiques d’action des années 70 comme par exemple All the President’s Men sur le scandale Watergate.  Le procédé  fonctionne si bien qu’il en évacue  à plein régime, il  en évacue  pas moins l’essentiel de la critique et de l’analyse indispensable pour comprendre  les tenants  et aboutissants  d’une situation qui ne saurait être réduite à la guerre des bons contre les méchants . A force de s’attribuer les beaux rôles  en trahissant la vérité, le cinéma américain finit par se décrédibiliser  et devenir grotesque. Mais on arrête pas la bêtise à si bon compte.

Savages, la dernière œuvre d’Oliver Stone  n’est pas heureusement du même tonneau et bien  qu’il ne fasse pas hélas partie de la compétition pour la prestigieuse coquille d’or de Saint-Sébastien, il démontre qu’Hollywood peut encore nous  étonner avec brio sans sacrifier aux crédo des blockbusters insipides. Inspiré par le livre de Don Winslow, cette fiction  raconte un conflit entre un trio  d’originaux, producteurs indépendants de marijuana, qui se heurtent aux intérêts d’un cartel de narcos trafiquants mexicains. Son message est  sans équivoque.

Servi  par un  une interprétation d’exception qu’inclut John Travolta, Benicio de Toro et Selma Hayek le film dénonce « le cynisme de la guerre de la drogue, qui a fait au Mexique plus de 50 000 victimes». Selon le réalisateur « les Etats-Unis profitent des guerres de la drogue pour militariser ces sociétés et s’introduire dans les affaires des pays tels la Colombie, le Mexique et le Pakistan et le résultat est un narco-terrorisme en constante évolution qui a importé des techniques de brutalité directement de la guerre en Irak ».

Oliver Stone était à Saint-Sébastien aussi parce qu’il a remporté le prix spécial de  la carrière de cette 60e édition et, fidèle à son style, l’ancien combattant du Viet Nam devenu pacifiste n’a pas fait des cadeaux à l’ancien gouvernement espagnol : « la participation de l’Espagne à la guerre d’Irak a été une honte pour ce pays » a-t il affirmé en ajoutant que « l’ancien premier ministre Aznar devrait être jugé par le  tribunal de la Haie, c’est à vous de le faire » a-t il lancé.

On peut aimer ou pas Oliver Stone, mais au moins ses Sauvages, comme son réalisateur sont sincères.

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