Guerre culturelle : la liberté d’expression en ligne de mire.

La guerre culturelle qui depuis une trentaine d’années se réduisait à des escarmouches importantes certes, mais limitée à l’intérieur des frontières nationales et notamment américaines, a pris une ampleur transnationale. C’est une guerre totale désormais. Inutile ici d’insister sur l’influence des réseaux sociaux et l’effondrement des cultures politiques qui permettait  de canaliser et de garantir les revendications pour la défense des acquis sociaux.  Les technologies de l’information  qui individualisent l’information de manière massive  et atomisent l’espace public, n’y sont pas étrangères.  Les écrivains français ont  porté leur pierre dans l’élaboration de cet espace d’influence en l’affranchissant  de la Cour et des  religions. Durant les années 60, l’émergence des  Mass médias leur ont préféré des « experts » plus télégéniques pour s’accaparer des parts d’audience. Aujourd’hui, ils sont appelés à rentrer plus fortment dans le combat qu’ils n’ont au demeurant jamais  quitté.  car l’engagement ici ne doit pas être idéologique  mais éthique. En effet,  l’acte d’écrire comporte une  double dimension : esthétique mais aussi éthique. Ce sont les deux facettes de la même réalité qui nous connecte au désir de connaître et de partager. 

Intérêt général vs intérêts particuliers
La liberté d’expression permet à ce désir de se manifester comme liberté individuelle en respectant celle des autres. Aujourd’hui toutefois, cette liberté sert à affirmer surtout la liberté du plus fort dans le droit fil de la tradition libérale de souche anglo-saxonne. Naguère, Adam Smith pensait que l’on atteignait le bien commun par la somme des égoïsmes individuels. Car tout un chacun n’aspire-t-il pas aux mêmes valeurs de sécurité, de tranquillité, de respect individuel ?  Si cela pouvait être encore possible au XVIIe siècle, c en’est plus le cas maintenant. La France, elle,  participe depuis sa Revolution éponyme à une logique opposée. Promulguée par les Lumières, l’intérêt général  prime en principe sur l’intérêt particulier. 

 Cette  double tradition de la culture politique européenne, c’est l’effet de ciseaux dans lequel les écrivains se trouvent aujourd’hui. Il est plus que jamais important de réaffirmer ses droits, mais aussi ses devoirs. C’est-à-dire dire la dimension politique de toute narration. La liberté d’expression se doit d’être contrebalancée par la liberté de réception, comme nous y invite d’ailleurs l’article quatre de la Déclaration des droits de l’homme. La liberté de réception ne se résume pas seulement dans cela dont doivent faire preuve les institutions académiques ou journalistiques ou encore les instances de la chaîne du livre, mais bien de la capacité du lecteur et de l’auteur à pouvoir discerner en bonne intelligence la valeur de ce qu’il est en train de lire et la valeur de ce qu’il est en train d’écrire. Ne laissons pas au seul marché et aux réseaux, la responsabilité d’en définir la valeur. 

  Le défi auquel l’IA nous confronte, c’est d’être à la hauteur de nos grands aînés dans cette capacité de choisir sans confondre ce qui participe du hasard (et donc la machine littérature) de ce qui relève de la nécessité. Jadis, la diversité des langues et des dialectes populaires avait conduit les fondateurs des futures littératures nationales à devoir choisir de concert avec le pouvoir politique) une langue d’expression. Aujourd’hui, la domination du langage-machine qui produit de milliards d’images et qui ouvre l’expression à tout un chacun (pour le meilleur et pour le pire) impose aux écrivains de faire l’inverse. La liberté d’expression doit être défendue dans sa diversité qui ne concerne pas seulement les pays où on l’interdit de fait.    

 Je suis de ceux qui pensent que les écrivains sont encore trop peu visibles de l’espace public sauf lorsqu’ils sont emprisonnés comme Sansal. C’est à des écrivains d’animer ce dispositif de réflexion-action. C’est aussi celui de leurs associations de prendre le taureau par les cornes. Quel rôle le Pen club français/CLI, La Société des gens des Lettres, les autres instances d’écrivains veulent-ils avoir dans ce conflit ?  Se contenteront-ils de voir passer le train ?   A voir .

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