
Robert Scarcia
La 73e édition du festival du film de Saint-Sébastien a été marquée par des préoccupations politiques qui en font peut-être le festival le plus « politique » de ces dernières années. C’est pourquoi nous avons d’abord choisi de le traiter sous cet angle .
Par ailleurs, il est important de noter que tant les organisateurs que les participants les plus illustres n’ont pas hésité à condamner le « génocide » infligé au peuple palestinien de Gaza. Des autocollants portant les mots « STOP » et « GÉNOCIDE » étaient apposés sur la poitrine de tous les participants lors de la cérémonie de clôture.
En témoignage symbolique de solidarité avec Gaza, il convient de noter que le désormais célèbre film « La Voix d’Hind Rajab », du réalisateur tunisien Kauther Ben Hania, a remporté le Prix de la Ville de Saint-Sébastien. La voix de cette petite Gazaouie de cinq ans, coincée dans une voiture et entourée des corps de ses proches touchés par les bombes israéliennes, a ainsi résonné jusqu’à la ville basque.
Commençons cette première chronique par le film de clôture, car il met en lumière une autre préoccupation politique sous-jacente qui a marqué les festivals : la crainte que les libertés en Europe et dans ce que l’on appelle « l’Occident » soient menacées comme jamais auparavant.
Le film de clôture, le polonais Winter of the Crow, « L’Hiver du Corbeau », se déroule en Pologne en 1981, au moment du coup d’État du général Jaruzelski et de la répression contre le syndicat Solidarnosc. La réalisatrice Kasia Adamik a déclaré que « le choix de revenir sur un événement de la Guerre froide » lui semblait nécessaire « comme un avertissement du risque d’un retour à l’autoritarisme en Europe ». Le film, sous forme de thriller, raconte les mésaventures d’une professeure britannique invitée à donner une conférence à Varsovie, qui se retrouve alors happée par le tourbillon de la répression.
Mais le festival de Saint-Sébastien ne s’est pas arrêté à un avertissement clair adressé à l’Europe ni à un simple rappel direct des spectres politiques autoritaires du passé récent.
En effet, la crainte de perdre ses libertés, subjectives et objectives, s’est également exprimée à un niveau beaucoup plus protéique et métaphorique, par exemple en racontant des histoires vraies ou fictives, mais avec l’objectif clair d’envoyer des messages d’alerte.
À ce propos, il est important de souligner deux films qui ont remporté deux prix : celui du meilleur acteur protagoniste et celui de la meilleure actrice dans un second rôle.
D’une part, il s’agit de « Maspalomas », du réalisateur basco-espagnol José Mari Goenaga, une comédie se déroulant à Saint-Sébastien même, qui a valu à l’acteur José Ramon Soroiz la Coquille d’argent du meilleur acteur dans un rôle principal. Il s’agit de l’histoire d’un retraité homosexuel qui, après avoir vécu sa vie d’homosexuel sans complexe ni inhibitions, se retrouve contraint d’être admis dans un centre d’aide aux personnes âgées suite à un accident. Dans la maison de retraite, il « retourne au placard », c’est-à-dire qu’il replonge dans la peur d’exprimer son identité sexuelle. Cet événement central, combiné aux détails et aux conversations qui s’y sont déroulées, suggère la crainte d’un terrible retour au passé, et plus précisément la peur de perdre sa liberté, non seulement sexuelle, dans un contexte de renouveau néofranquiste.
Sur le plan tragique, le film argentin « Belen », qui a valu à Camilla Plaate le Coquillage d’argent de la meilleure actrice dans un second rôle, est presque un documentaire historique, un fait divers qui a façonné la lutte pour la légalisation de l’avortement en Argentine, notamment la mobilisation des femmes argentines en soutien à « Belen », une jeune femme victime d’une fausse couche à l’hôpital et pour cela, emprisonnée pour meurtre. Ici aussi, comme le souligne Dolores Fonzi, la réalisatrice du film, la peur de tout perdre est palpable : « Le combat tragique de Belen rappelle combien il a été difficile d’obtenir justice et la liberté de choisir son propre corps, et combien il sera facile de tout perdre. » Une peur qui, dans ce cas précis, trouve sa racine dans la gestion catastrophique du gouvernement Milei et dans ses politiques « anarcho-libérales », où l’État se désengage de tout.
Pour conclure cette première chronique, saluons deux femmes de générations différentes et de carrières distinctes dans l’industrie cinématographique : Esther Garcia, productrice espagnole de longue date, et l’actrice américaine Jennifer Lawrence, lauréates, les deux du Prix Donostia pour l’ensemble de leurs carrières.
Le choix d’Esther Garcia est original, car il rend un hommage mérité aux « seconds rangs » du cinéma, c’est-à-dire à celles et ceux qui n’apparaissent pas sur grand écran, mais sans qui l’œuvre cinématographique n’aurait pas été possible. Il va sans dire que Garcia a été une pionnière en tant que femme dans un monde d’hommes. Mais l’égalité des sexes n’était pas au cœur de son discours, car elle tenait à souligner que « la recherche de talents pour un scénario est une expérience passionnante », même si l’autre face de la médaille exige « une grande habileté à la négociation ». Ainsi, Esther Garcia nous enseigne que lorsque nous allons au cinéma, nous ne devons pas oublier que le travail à l’écran est le fruit d’une recherche passionnée et de compromis difficiles.
