La maison de l’exil, manuscrit

Ému de lire l’unique exemplaire du roman inédit de Rosine Gueugniaud. Elle l’écrivit il y a plus de trente ans en  mettant en scène Louise, une toute jeune comédienne qui a eu vingt ans au lendemain des fêtes du Bicentenaire de la Révolution . Sa jeune métisse, à peine sortie de l’adolescence, finira par habiter un petit pavillon dans une arrière-cour de Bagnolet : la maison de l’exil. C’est là qu’elle convoquera ses souvenirs, ses rêves et ses fantasmes dont le plus prégnant est celui d’avoir « tué sa sœur », Sarah Louise. Cette fausse jumelle, née le même jour, est son amie d’enfance et son double. Ses apparitions intermittentes scandent ce roman surréaliste en diable, peuplé de fantômes, de songes et d’animaux. Les pages les plus émouvantes sont peut-être celles qu’elle consacre à Zoulfa, sa chienne dont elle fait un personnage à part entière avec sa propre généalogie : son père Zoulf donnera d’ailleurs son nom « Opéra Zoulf » à la troupe de théâtre qu’elle animera trente ans durant avec ses complices Frédérique et Françoise.

On les retrouve peut-être dans cette fantasmagorie qui rappelle celle d’Elsa Morante dans l’île d’Arturo ou encore celle du romancier québécois Rejéan Ducharme, dans l’Hiver de force mais aussi Nancy Huston dans Virevolte. C’est le monde de l’enfance qui s’abandonne à ses rêveries pour se consoler des épreuves du réel où la mort est omniprésente. Les personnages qui apparaissent dans ce faux journal cherchent à leur manière d’en divertir la narratrice. Que ce soit Marek, le fils prodige de Mme Boslowiecz, sa voisine polonaise, sa copine Gaëlle, artiste et potière, Pensée, sa grand-mère et Aimée, sa mère trucidée, Manuel, son père gay, suicidé, Ingrid, la mère de sa meilleure amie, ou encore l’auteure elle-même qui n’hésite pas à se mettre en scène en tant que « propriétaire » ; tous racontent à leur manière un épisode de cette vie tourmentée, écartelée par le choix cornélien auquel se confronte tout artiste : vivre ou créer. L’ écriture minimaliste, fluide et théâtrale que l’on dirait écrite par une toute jeune fille tant elle nous demeure actuelle, se déploie comme une spirale en se maintenant en équilibre instable entre rêve et réalité. Ce roman de près de 300 pages se termine par la préparation de la fête de Noël chez les voisins (permutée avec celui du Carnaval!) à laquelle la narratrice est conviée. C’est le moment où Sarah Louise choisir de revenir pour dévoiler à sa fausse sœur jumelle deux vérités essentielles : primo qu’elle a une vraie sœur qui se prénomme Sarah comme elle ; deuxio qu’elle attend un enfant d’un mystérieux David. Ce roman cacherait-il finalement un secret de famille ?
Lorsqu’après le décès de l’auteur, il a fallu procéder à l’inventaire de ses archives, le titre de ce manuscrit m’avait d’emblée interpellé. S’agissait-il de ma maison rue de Bellevue, celle où elle écrivit ce roman et qu’elle habita dix durant avec son mari musicien ? Si ce roman d’une jeune fille en fleur ne s’y déroule pas explicitement, le génie des lieux y est constamment convoqué. C’est probablement un des traits du style de Rosine Gueugniaud qui nous convie de la sorte à participer au laboratoire de sa création. Rosine qui a toujours voulu se tenir à l’écart des mondanités, n’est pas pour autant une illustre inconnue. Reconnue et publiée par Jean Cayrol aux éditions du Seuil, elle croisa dans sa vie Lucien Attoun qui mit ses textes en ondes sur France Culture , le poète Paul Celan, Pierre Bourdieu dont elle fut une collaboratrice, Julio Cortazar qu’elle a adapté au théâtre , le dramaturge Abdou Anta Ka et… François Mitterrand ! Jean -Claude Grimberg, qui la connaissait bien, lui a souvent rendu hommage.
Rosine vaut le détour. Avis aux intéressés. Mais, pour conclure, laissons-lui le mot de la fin.
«J’appellerai Sarah Louise. Je lui dis que finalement, la fête ne se ferait pas, que je n’étais pas la Pour Noël. Elle répondit que bon, on se verrait après. Que, de toute façon, oui, elle venait à Paris, mais elle pensait aller chez les parents de David. »
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