Festival Saint-Sébastien : « Los Domingos » primé

Alauda Ruiz de Azua réalisatrice

Cette deuxième chronique présente trois films récompensés par trois prix différents.

La Coquille d’Or, grand prix du 73e Festival de Saint-Sébastien, a été décernée à Los Domingos, de la réalisatrice Alauda Ruiz de Azua. Ce film raconte l’histoire d’une jeune fille qui souhaite entrer dans un couvent et se heurte à la résistance de sa famille face à un choix de vie totalement contraire à l’esprit du temps. L’histoire se déroule dans un contexte familial, mais son message va bien au-delà du simple choc des générations au sein d’une famille que le sociologue français Emmanuel Todd qualifierait de « culture catholique zombie ». Autrement dit, la famille est encore, dans les formes, de la culture catholique, comme le prouve l’inscription de la jeune fille dans une école religieuse privée, mais manque de profondeur et d’âme pour soutenir le choix radical d’engagement total envers son Église et sa foi que la jeune fille souhaite accomplir. Prenant le risque de caricaturer pour s’assurer de transmettre un message important, il me semble que le film démontre comment, à notre époque postmoderne, voire transhumaine, la société contemporaine sous nos latitudes (et longitudes) « occidentales », semble plus ouverte à l’idée d’un changement de sexe pour une jeune personne qu’à lui permettre d’entrer au couvent. C’est un sujet qui mérite réflexion, car cette société est plus encline à cautionner des interventions chirurgicales radicales sur le corps humain que des choix spirituels radicaux et transcendants.

Il est donc très positif que l’histoire d’une jeune femme qui parvient à entrer au couvent, malgré tous les opposants, ait remporté le premier prix de ce festival. Espérons que la visibilité offerte par la Coquille d’Or suscitera une profonde réflexion sociale.

De la religieuse basque à la mère chinoise meurtrière. Ou plutôt, de la réalisatrice récompensée par la Coqulle d’or, à l’actrice récompensée par la Coquille d’argent du meilleur premier rôle (ex-aequo avec José Ramon Soroiz de Maspalomas, voir la critique précédente). Zhao Xioaohong, la protagoniste du film Her Heart Beats in Its Cage, n’est pas une actrice professionnelle, mais a vécu l’histoire qu’elle incarne au cinéma. Autrement dit, le film de Qin Xiaoyu relate, sous forme de docu-fiction, le vécu de la protagoniste. Dans la périphérie de la Chine, une femme, maltraitée par son mari, décide un jour de se défendre et, « avec un couteau émoussé qui n’avait jamais rien coupé auparavant », poignarde son mari à mort. Après de nombreuses années de prison, la femme retrouve sa liberté et doit reconstruire sa relation avec son fils, qui vit chez sa belle-mère, la grand-mère paternelle de l’enfant. Deux éléments méritent d’être soulignés dans ce magnifique film chinois : la relation personnelle entre la femme et sa belle-mère, et le point de vue unique sur les prisons chinoises.

D’un côté, aucune haine envers la belle-fille qui a assassiné son fils ne transparaît dans les propos de la belle-mère. La vieille Chinoise pleure la mort de son fils, mais, comme par pénitence, elle se porte volontaire pour élever son petit-fils et semble comprendre le désespoir de la belle-fille meurtrière.

D’un autre côté, le protagoniste silencieux du film est la prison chinoise. Le réalisateur Qin Xiaoyu a déclaré avoir passé des mois dans la prison où la femme était détenue. Ce qui est extraordinaire, c’est que cette prison chinoise a une certaine familiarité, je pense, pour nous tous qui avons fait notre service militaire obligatoire dans des unités opérationnelles de première ligne. En effet, le système carcéral chinois fonctionne comme une caserne militaire stricte, les détenus subissant des exercices militaires comme des soldats. La discipline sévère, la propreté exagérée, les exercices sous des ordres hurlés : tout semble indiquer que, plutôt que d’être conçues pour punir les crimes, les prisons chinoises visent à préparer les détenus à leur réinsertion sociale ; tout comme, en théorie, le service militaire obligatoire servait à préparer les conscrits à la guerre. Par pitié pour le pauvre interprète, je n’ai pas pu insister davantage sur ce point en conférence de presse, et je dois donc admettre qu’il m’a été impossible d’approfondir le sujet directement avec le réalisateur chinois. L’impression demeure cependant que ces prisons chinoises ressemblent davantage, par exemple, à nos casernes de parachutistes qu’à nos prisons.

Pour conclure cette deuxième chronique, retour sur le film lauréat de la meilleure photographie. Il s’agit de  Los Tigres, un thriller sous-marin du réalisateur espagnol Alberto Rodriguez, ponctué de superbes interprétations par Antonio de la Torre et Barbara Lennie, qui a valu le prix au directeur de la photographie sous-marine Pau Esteve.
L’histoire d’un frère et d’une sœur, enfants d’un plongeur, qui reprennent tous deux le travail de leur père décédé. Ce magnifique thriller mêle le dur labeur des « mineurs d’eau », comme on les appelle, des prolétaires qui travaillent sous l’eau plutôt que sous terre. C’est une histoire où la réparation navale et le trafic de drogue se mêlent, autour du pôle pétrochimique de Huelva, sur la côte atlantique de l’Andalousie. La précarité de l’emploi, signe de notre époque, et le piège de l’argent facile du trafic de drogue marquent le récit. L’originalité du film réside, par contre, dans le fait qu’il raconte l’histoire d’amour, de solidarité et de soutien entre un frère et une sœur, enveloppés dans l’univers mythologique de leur père décédé. Et contrairement à l’amour entre amoureux, qui se projette dans l’avenir comme s’il dans de projets de vie partagés, l’amour fraternel, au contraire, implique une projection dans le passé, remplie de nostalgie et parfois de ressentiment.

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