Festivals des États Généraux du Film documentaire de Lussas

Le 20 août 2017, je me rendais à Lussas, petit village d’Ardèche situé dans la montagne, qui abrite depuis 29 ans, un festival de films documentaires d’auteurs, les États Généraux du film documentaire.

Le festival est porté par l’association Ardèche Images, créée en 1979, et qui regroupe, en plus du festival, la Maison du doc, centre de ressources spécialisé dans le film documentaire, l’École documentaire qui propose des formations à l’écriture, la réalisation et la production de films documentaires de création, Africadoc, qui développe en Afrique subsaharienne un programme de formations et organise le Louma, rendez-vous annuel du documentaire de création africain, et les Toiles du doc, un dispositif de soutien à la diffusion documentaire.

Le festival des États généraux du film documentaire, l’un des rares festivals de cinéma non compétitif, réunit depuis 1989, une semaine durant, public et professionnels, autour des enjeux esthétiques, éthiques et économiques du film documentaire. 6 écrans répartis dans le village se partagent une programmation riche et très diverse, comportant des projections, des débats, des séminaires, des films qui sortiront en salle, des rétrospectives, des rediffusions, des premiers films aux réalisateurs confirmés, français ou étrangers…

Ma tente à peine plantée, je me rendais à l’atelier « Mémoires des territoires » durant lequel je rencontrais Aude Fourel, réalisatrice du court-métrage Attraversare Roma – À travers Rome, court-métrage documentaire tourné en pellicule super 8, réalisé à partir de déambulations et de filatures à travers la ville de Rome. Le film mêle des images de personnages en train de traverser la ville et des scènes de la vie quotidienne des romains. Il intègre de nombreuses références qui ont marqué la réalisatrice avant qu’elle ne commence ses marches à travers la capitale italienne et ses périphéries, et accorde une attention particulière au cadrage, et une place particulière au son, qui se superpose à l’image et amène une autre dimension au film.

Je rencontrais ensuite Alexandre Barry, réalisateur du long-métrage Du régal pour les vautours, le second film du cinéaste réalisé sur le metteur en scène de théâtre Claude Régy. Le film nous entraîne dans une dérive au cœur du travail et de la vie de l’artiste. La nuit tombe, et des visions surgissent. Les images et les détails se superposent. La lumière, et son absence, y prennent toute leur place, révélant des lieux, des visages, et des réminiscences. Des allusions aux expériences de l’artiste que le spectateur ressent sans les identifier. À Paris, au Japon, en Corée et en Norvège, Claude Régy partage ainsi les lueurs entrevues lors de son long voyage.

Après avoir découvert L’Assemblée sur l’écran du Plein Air, j’ai rencontré la réalisatrice Mariana Otero, qui a, pour ce film, assisté aux commissions du mouvement Nuit Debout, et en a filmé une en particulier : l’Assemblée, une assemblée populaire qui a rassemblé des personnes venues de tous horizons pour débattre ensemble et inventer une nouvelle forme de démocratie. Le film n’est pas un film sur Nuit Debout mais un véritable objet de cinéma, qui interroge la place de chacun et de sa singularité au sein du collectif et en particulier la place de la parole. Il donne à réfléchir et interroge sur la manière de parler ensemble sans parler d’une seule voix.

Samuel Bigiaoui présentait quant à lui son premier film, 68, mon père et les clous, dans lequel il retrace les derniers mois d’existence du magasin de bricolage de son père en s’attachant aux relations entre les usagers du lieu, employés et clients. Il questionne en parallèle le passé de son père, afin de comprendre ce qui a amené cet intellectuel et militant maoïste à ouvrir une quincaillerie à presque 40 ans, et « à vendre des clous ». Une immersion dans le réel de ce magasin de quartier qui voit se rencontrer des personnages authentiques, drôles et émouvants, et où la parole se libère, petit à petit.

Le dernier jour, je rencontrais Olga Darfy, réalisatrice de Moi, Gagarine, film franco-russe dans lequel elle raconte la manière dont elle a vécu les années post Union soviétique aux côtés des DJ’s organisateurs de rave parties dans le pavillon Cosmos, bâtiment de l’agence spatiale russe, alors désaffecté. À tout juste 18 ans, elle s’installe avec eux afin de fuir la routine de la vie d’adulte et profiter du vent de liberté qui souffle sur la Russie. Elle décrit cette époque sur fond de musique techno, mêlant images d’archives et images tournées dans la Russie d’aujourd’hui, après avoir retrouvé les artistes qu’elle côtoyait. Ils retrouvent ensemble le lieu qu’ils fréquentaient et évoquent les souvenirs des Gagarin Parties, mettant en lumière le fossé qui s’est creusé entre cette période riche de résistance, de protestation grâce à ces fêtes et la situation figée de la Russie contemporaine.

Ces films – et bien d’autres – étant peu diffusés en dehors des festivals, une plateforme de vidéo à la demande sur abonnement dédiée au documentaire d’auteur a vu le jour en juillet 2016 : Tënk. Vous pourrez y retrouver la programmation du festival de Lussas, mais également d’autres films du genre, anciens ou nouveaux, répartis en plusieurs plages qui ne se veulent pas des catégories cloisonnées mais des invitations au regard, à la curiosité et à la déambulation. La programmation est excellente et variée, des premiers films aux cinéastes reconnus, du court au long-métrage, avec des programmations spéciales en lien avec l’actualité. De nouveaux films viennent chaque semaine alimenter le contenu du site, tandis que d’autres quittent la plateforme.

Le but de Tënk est de faire découvrir et de mettre à la portée de tous des films nécessaires, passionnants, objets cinématographiques exceptionnels peu diffusés dans les salles ou sur les chaînes de télévision, et donc peu accessibles. L’objectif est donc de défendre ce genre, de faire en sorte qu’il puisse continuer à exister et à être vu, dans un contexte de crise de la production, afin que des films continuent à être produits. Et pour faciliter la production et la diffusion de ces films, la plateforme s’est lancé comme défi de recueillir assez d’abonnés afin de se lancer dans la co-production. L’objectif des 10 000 abonnés n’est pas encore atteint et je vous invite à jeter un oeil au site, afin de peut-être franchir le pas… Vous encouragerez ainsi l’essor du cinéma documentaire d’auteur, qui mérite d’être diffusé plus largement, tout en découvrant des films singuliers et bouleversants, au plus près du réel.

Laurence Rongione

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